Jerada: témoignages au cœur de la "silicose valley"

À Jerada, la silicose, maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation de fines poussières de charbon, n'est plus un risque latent, mais une fatalité pour les milliers de mineurs à la retraite ou qui continuent de risquer leurs vies dans les hassis clandestins de la région. Témoignages.

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Crédit : Fadel Senna // AFP

Assis à même le sol, sur un léger matelas de fortune épais de quelques centimètres, M’Barek Megrach médite. Il est venu, accompagné de ses ex-collègues de travail à la mine de Jerada, présenter ses condoléances à son voisin, le père des deux frères morts le 22 décembre alors qu’ils extrayaient du charbon dans une galerie clandestine. Son âge (55 ans) égale, comme par hasard, son taux d’incapacité permanente partielle.

« Même si je ne suis plus retourné sous terre depuis la fermeture de la mine, ma silicose s’est aggravée. Lors de ma dernière visite médicale en novembre, le taux était de 55%« , raconte celui qui a enfilé pendant 12 ans la blouse des employés des Charbonnages du Maroc, pour 1.200 dirhams de retraite mensuelle.

Crédit : Omar Kabbadj

Son acolyte et aîné de 12 ans, M’Hamed Dehmani, semble plus vif. Il a conduit 10 ans durant les camions de la firme minière de Jerada. S’il se réjouit aujourd’hui de ne pas être touché par cette maladie professionnelle, c’est parce qu’il n’a jamais procédé au diagnostic de ses poumons.

« Je suis peut-être moi-même malade, mais je préfère ne pas savoir. Il est vrai que je n’ai jamais creusé de galerie ni manié le marteau, mais j’ai toujours été au contact du charbon que je transportais quotidiennement de la mine à la centrale thermique. De toutes les manières, la silicose, c’est comme un bon joueur de foot, ça ne rate jamais son but », ironise-t-il.

D’ailleurs ses deux fils, mineurs dans les hassis clandestins de la région, n’ont pas été épargnés par la maladie. Le regard rieur et la blague facile de M’Hamed cachent misérablement une détresse alimentée par des années de conditions de vie difficiles, au pied d’une montagne où la température avoisine dangereusement le zéro à cette période de l’année, et où les mineurs d’anthracite – ce charbon de qualité supérieure en raison de son important pouvoir calorifique – se chauffent au bois.

Crédit : Omar Kabbadj

Au centre-ville de Jerada, la colère de la population ne faiblit pas. Pour le 5e jour consécutif, des centaines d’hommes, de femmes, d’écoliers et de retraités se rassemblent sur la place jouxtant le siège de la commune pour protester contre « la cherté des factures d’eau et électricité » et revendiquer « une alternative économique réelle à l’exploitation de charbon« .

À la terrasse du café Echourouk, nous rencontrons El Ghali, qui a travaillé de 1976 à 1999 pour le compte des Charbonnages du Maroc, et dont la silicose a été diagnostiquée en 1997. « En janvier 2016, mon taux d’IPP était de 55%. Il y a quelques jours, j’ai appris que ce chiffre avait augmenté de 10%. Au moment où je vous parle, seul un demi-poumon me permet de respirer« , affirme-t-il.

À son départ à la retraite en 2003, El Ghali percevait 3.500 dirhams de pension. Depuis que la base de calcul de celle-ci est passée du salaire moyen des 3 dernières années de travail à celui des 8 dernières années, il ne touche plus que 2.000 dirhams.

Une somme qui ne suffit pas à subvenir aux besoins de ses 3 filles et à payer son traitement. « Je possède une machine pour la respiration artificielle, mais elle est à l’arrêt, car je ne peux pas me permettre de payer 700 dirhams d’électricité par mois« , se lamente El Ghali, nostalgique d’une période où les Charbonnages du Maroc offraient 30 kilowatts d’électricité à ses employés, en plus d’un accès gratuit à l’eau potable.

L’histoire de la silicose est étroitement liée à celle du charbon. Le monde découvre cette maladie au 19e siècle, au moment de la Révolution industrielle, l’âge d’or de l’exploitation du charbon.

Dans un rapport datant de 2007, l’Organisation mondiale de la santé note que « dans les pays en développement, jusqu’à 30-50 % des travailleurs du secteur primaire et des secteurs à haut niveau de risque pourraient être atteints de silicose« . Cette maladie est due à une inhalation prolongée de poussière de silice (bioxyde de silicium). Incurable, elle provoque une dégradation progressive et irréversible des capacités respiratoires.

Selon les chiffres de la Direction régionale de la Santé, 1.936 cas de silicoses sont actuellement recensés dans la région de l’Oriental. La province de Jerada s’est dotée en juillet dernier d’un Centre des maladies respiratoires et de la silicose, le premier du genre au niveau national, pour un coût total de 51,2 millions de dirhams. D’une superficie d’environ 3.208 m2 et avec une capacité d’hébergement de 55 lits, ce centre cible 3.000 patients atteints de silicose dans la province de Jerada et les zones avoisinantes.

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