Ta vie en l'air - Tberguig institutionnalisé

Par Fatym Layachi

Techniquement, c’est l’automne. Mais techniquement seulement. Parce que du point de vue vestimentaire tu es assez loin de tout concept de manteau. A midi, tu crèves de chaud et en fin de soirée tu te couvres à peine. Est-ce le réchauffement climatique, le dérèglement astral ou juste le monde qui va de travers ? Tu n’en sais rien mais tu sens bien qu’il y a quelque chose qui va de travers. Tu ne vas sûrement pas t’en plaindre. Tu ne te sens pas vraiment concernée par ces enjeux qui te dépassent. Toi, tu te contentes d’être ravie de pouvoir encore être en maillot au bord d’une piscine fin octobre. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, la petite sœur de Zee va se marier dans quelques mois. C’est joyeux. Mais ça aussi, c’est comme les saisons : c’est en théorie que c’est joyeux.

Pour l’instant, son projet de mariage est plus une galère qu’autre chose. Elle doit se procurer un certificat de célibat. Tu trouves le concept assez délirant. De quel droit un fonctionnaire, que tu imagines moustachu et bougon, peut-il prétendre connaître la situation de cette fille qu’il n’a jamais vue ? C’est absurde ! Tu te demandes si ça a véritablement du sens. Mais c’est comme ça. Et ici, il y a des choses qui sont comme ça. Toi, ce qui te fait halluciner c’est que dans le plus beau pays du monde, finalement, le tberguig est institutionnalisé. Zee doit accompagner sa sœur que cette galère stresse et Zee ne veut pas se retrouver seule avec sa sœur angoissée et angoissante. Te voilà donc, avec elles, prêtes à affronter l’administration, ses méandres et son potentiel de surréalisme. La jolie fiancée a l’air complètement paniquée. Elle se rêve princesse d’un jour. Elle s’imagine belle et immaculée dans un somptueux caftan vert. Elle passe ses journées sur Pinterest à choisir des coiffures. Mais en attendant, elle est là à errer dans une administration aux murs défraichis. Ce n’est pas vraiment le glamour qu’elle imaginait le jour où elle a dit “oui”. Il faut d’abord trouver à quel bureau s’adresser. Là non plus ce n’est pas simple. Vous finissez par identifier le bon bureau mais vous n’avez pas les bons documents. Il faut faire remplir des formulaires par vos témoins. Tu demandes à la dame face à vous où trouver ces formulaires. Elle vous répond de manière très naturelle qu’il faut les récupérer dans la boutique de photocopies qui se trouve à cinquante mètres. Vous faites semblant de trouver ça logique. Et puis, surtout, vous faites semblant de savoir qu’il vous fallait deux témoins.

Deux témoins pour attester du célibat de la demoiselle donc. La bonne foi de l’intéressée ne suffit pas. Là encore c’est le tberguig qui prévaut. C’est quand même dingue ! Ici, on ne croit pas les dires d’une personne, on attend que le voisin confirme. La pauvre fille qui rêvait de tyafer pleins de cadeaux, de chocolats, se retrouve à appeler le jardinier de ses parents pour qu’il lui signe ce papier. C’est tout même un comble ! Lui qui l’a vue ramener tous ses mecs en cachette. Il vous reste à trouver une deuxième personne. La sœur de Zee est au bord de la crise de nerfs. Elle panique de plus en plus et ça se voit. Un monsieur certes moustachu mais absolument pas bougon vient vous demander ce qu’il se passe. Il vous rassure et vous assure qu’il va vous aider à trouver une solution. Une de ses collègues, dodue et souriante, signe le deuxième formulaire. C’est totalement surréaliste quand on y réfléchit. Mais s’il y a bien une chose qui t’a surprise plus que tout le reste, c’est la gentillesse de tous ces anonymes et ça te rend encore plus triste. Tu te dis qu’il ne faut pas grand-chose pour que ce pays fonctionne de manière moins scabreuse. Peut-être que réformer un peu les lois et les procé- dures administratives y contribuerait.