Jusqu’où faut-il écouter la rue ? À cette question abstraite et générale, nos dirigeants — Palais et gouvernement — doivent trouver des réponses concrètes et rapides. Lorsqu’on a de la sympathie pour la jeunesse rifaine aujourd’hui révoltée, ou juste que l’on trouve légitimes les revendications sociales du Hirak, il est évident qu’écouter la rue c’est s’inscrire dans une démarche de dialogue avec le mouvement de contestation, et arrêter la répression. Or, l’État estime que, pendant six mois, il a montré sa volonté de dialoguer, mais que Nasser Zafzafi et ses acolytes n’y ont pas été réceptifs. Car ils seraient animés par d’obscurs desseins, soutient l’État. Alors, en réponse, une autre voix s’élève dans la rue. Elle applaudit la répression et appelle à faire taire les manifestants. Cette voix dangereuse, car animée par la peur, a non seulement de nombreux relais, mais beaucoup pensent qu’elle est majoritaire. Elle fait croire à l’État qu’il n’aura aucune difficulté à faire avaliser des réponses uniquement sécuritaires à un mal profond, sans la crainte — existante depuis toujours dans les cercles du pouvoir — que d’autres parties du Maroc ne battent le pavé en solidarité avec les Rifains. C’est là le piège que le Maroc doit éviter. Il ne faudrait pas que les envies d’autoritarisme de certains — quand bien même majoritaires — étendent leur ombre sur nos dirigeants.
Le véritable risque serait que le Maroc revienne sur un modèle que le roi a lui-même régulièrement défendu dans ses discours. Mohammed VI a fait du choix démocratique l’une de nos constantes sacrées dans son discours du 9 mars 2011. Des paroles dont l’écho nous revient aux oreilles aujourd’hui. “Nous devons tous être animés en cela de confiance, d’audace et d’une ferme volonté de placer les intérêts supérieurs de la nation au-dessus de toute autre considération”, appelait le monarque. Car la finalité était claire : consolider “notre modèle de démocratie et de développement”. Ceux qui ont été associés à la démarche du souverain à cette époque le jurent, ce discours n’a pas été écrit sous la pression de la rue, il a été une aubaine pour un roi dont le choix démocratique est une conviction.
Nous voulons bien les croire sur parole, mais cette conviction doit aujourd’hui rejaillir sur toutes les couches de l’État et sur toutes nos institutions. À l’heure où la liste des chefs d’accusation contre les militants du Hirak est longue comme une journée sans pain, effrayante et excessive, il faut que la justice jouisse d’une indépendance exemplaire. À l’heure où de nombreux Rifains se sentent stigmatisés, traités de séparatistes par les représentants du peuple et souffrent d’être marginalisés, il faut troquer le bâton pour une nouvelle démarche qui assure le développement humain d’Al Hoceïma. Sans tomber dans le procédé de la carotte, récompense intéressée pour calmer momentanément les protestations. À l’heure où nos politiques sont affaiblis, il faut leur garantir une indépendance et une marge de manœuvre. S’ils se trompent, les électeurs ne s’y tromperont pas. Enfin, dans des moments de doutes et de craintes, il faut surtout rassurer. Le Maroc attend. Patient, mais pour combien de temps ?