Édito - Chabat aux mains d'argent

Par Aicha Akalay

Hamid Chabat est un pyromane. Et c’est la maison Maroc qu’il s’apprête à brûler. Il s’attaque aujourd’hui au conseiller royal Taïeb Fassi Fihri, lequel lui a reproché sur le plateau de la télévision d’État ses “déclarations irresponsables” sur la Mauritanie.

Le secrétaire général du Parti de l’Istiqlal soutient que le diplomate sort de la neutralité que lui impose sa proximité royale. Il ajoute que le neveu de Abbas El Fassi a “plombé l’ambiance au niveau national”. Mais les arguments du zaïm istiqlalien ne résistent pas aux faits. Ses propos ont bien été repris par ceux qui s’opposaient à l’admission du Maroc lors du dernier sommet de l’Union africaine (UA). En conférence de presse à Addis-Abeba, ce sont précisément les mots de Chabat que Mohamed Ould Salek, ministre des Affaires étrangères de la RASD, a cités devant la presse internationale pour appuyer sa démonstration, faisant du Maroc un pays expansionniste aux velléités coloniales. C’est à se demander si Chabat n’a pas volontairement tenu ces propos. Car pendant la période d’opposition du Palais à une alliance entre le PJD et l’Istiqlal, Chabat a plusieurs fois suggéré l’organisation d’un meeting dirigé par Benkirane, Benabdallah et lui-même, voire une marche de l’opposition, ou encore d’exiger des autorités l’organisation de nouvelles élections. “Chabat cherchait l’affrontement, et au lieu de faire de la résistance saine, il a fait de la nuisance”, témoigne un chef de parti.

Chabat s’accroche avec l’énergie du désespoir à une alliance mort-née avec Benkirane, alors que les deux hommes se sont longtemps étrillés, et sans retenir leurs coups. S’il y tient tant, c’est parce qu’il briguait la tête du parlement. Quitte à ce que le parti n’obtienne rien d’autre, confient de nombreux Istiqlaliens. Voyant ses espoirs déçus, Chabat le va-t-en-guerre ne se censure plus guère. Sur le plateau de France 24, il suggère lourdement que l’État marocain peut encore tuer un dirigeant politique pour ses idées. Le 8 février, un article publié sur le site du parti évoque même le syndrome de Oued Charrat [là où ont péri, pour mémoire, le socialiste Ahmed Zaïdi et l’islamiste Abdellah Baha]. Le texte a été supprimé depuis. Quand l’ex-maire de Fès reprend l’expression “t7ane mou” [écrase sa mère, littéralement] qui a embrasé Al Hoceïma il y a quelques mois et bâtit dessus un parallèle douteux avec sa personne, sa logique ne fait plus aucun doute. Acculé par les défaites, et surtout par les scandales financiers qui le visent lui et son clan et qui sentent bon le règlement de comptes, Chabat s’engage dans une logique kamikaze qui vise à provoquer l’État. Il est prêt, dit-il, à mourir en “martyr de la démocratie”.

Or, Hamid Chabat n’a jamais œuvré pour préserver l’autonomie de sa formation politique. Il a tantôt fricoté avec le PAM, puis avec le PJD, avant de brûler ceux qu’il avait un jour adorés. S’il est érigé en martyr de la démocratie, autant la tuer, cette démocratie. En revanche, ce qui est attendu de la part de l’État contre lequel Chabat s’oppose, ce ne sont pas des méthodes de voyous avec des fuites anonymes dans la presse. Cette culture de la mise à mort symbolique fleure bon une époque que nous souhaitons révolue. Si l’on veut ouvrir une enquête sur la fortune du dirigeant d’un des partis les plus importants du pays, autant le faire via des procédures judiciaires transparentes et équitables. Car au-delà du cas Chabat, ce qui importe pour la construction démocratique c’est de comprendre comment un dirigeant politique, à la tête d’une grande ville puis d’un syndicat et d’un hizb — et pas n’importe lequel —, peut autant s’enrichir en l’espace d’une quinzaine d’années sans être inquiété par la justice, ni questionné sur sa fortune.

Pourquoi Hamid Chabat a-t-il été soutenu dans son ascension par des dirigeants de son parti, comme Karim Ghellab ou Yasmina Baddou, qui s’érigent aujourd’hui en caution morale de l’Istiqlal alors qu’ils ne pouvaient ignorer la nature de leur zaïm ? Ce sont les réponses à ces questions qui importent desormais et non plus la folie incendiaire de Hamid Chabat.