Dans une chronique précédente, il a été question de sécularisation au Maroc, présentée comme une révolution lente, souterraine et durable, qui prend son cours au Maroc depuis des décennies et qui secoue complètement les rapports anciens des Marocains avec la religion. Des lecteurs ont soulevé certaines critiques et remarques, pertinentes et légitimes, que l’on souhaite clarifier ici. Ainsi, la sécularisation ne signifie pas absence ou disparition de la religion, mais un réaménagement de sa présence et de sa place dans la société. Le religieux n’est plus alors l’alpha et l’oméga d’un groupe humain, le seul horizon culturel et intellectuel de l’individu, le référentiel ultime sans lequel les institutions sociales se dérèglent et perdent leur boussole, mais il se rétracte et laisse place à d’autres logiques de se développer et coexister.
Jusqu’au début du 20e siècle, toute l’existence du Marocain se déroulait sous le signe du sacré. La loi était exclusivement religieuse, le seul impôt permis et perçu par le pouvoir central devrait être islamique, la légitimité du sultan et son exercice de l’autorité étaient de nature religieuse, etc. Le choc colonial et le contact avec la modernité occidentale ont ébranlé cette situation et bouleversé la donne. L’introduction de l’État moderne, avec son administration froide et rationnelle, ses lois élaborées par des hommes en se fondant sur d’autres logiques que le halal et le haram, a amorcé un processus de transformation qui a changé la face du pays.
Les Marocains découvriront, pendant le protectorat et après l’indépendance, les notions d’intérêt public, de souveraineté de la loi, d’espace public et privé, de monarchie parlementaire et constitutionnelle… Des mots et des institutions qui n’appartiennent pas à leur histoire, leur culture et leur vision traditionnelle du monde. Ils seront développés par des hommes sans se référer au sacré.
Les institutions politiques produisent leur propre logique de fonctionnement, leurs propres règles qui ne font appel à la religion que d’une manière symbolique. On peut donc ouvrir les séances parlementaires par la lecture du Coran, mais dans le fonctionnement de l’institution et la fabrication des lois, on ne recourt pas aux ouléma ni aux textes religieux, mais à des femmes et des hommes élus par d’autres femmes et hommes. Le processus de sécularisation est nourri par d’autres facteurs qui participent à la modernisation du pays : la généralisation de l’enseignement (malgré ses tares et ses défauts) et la transformation démographique où les citadins sont plus nombreux que les ruraux dans notre pays, la mutation économique du Maroc — qui s’appuie dans son développement sur les services et l’industrie plutôt que sur l’agriculture — et enfin l’évolution du statut juridique de la femme et son insertion dans le monde du travail. Chacune de ces transformations produit son lot de conséquences et d’impact sur les Marocains et leur rapport au monde et à la société où ils vivent.