Aux origines de l'exploitation des phosphates au Maroc

Entrée d'une galerie de la mine de Khouribga. Photographie tirée d'une publicité de l'Office Chérifien des Phosphates de 1952

Si le Maroc est aujourd’hui le premier exportateur de phosphates dans le monde, nourrissant la planète, il doit son leadership à une expérience accumulée depuis la fin du XIXe siècle.

C’est l’azote et le potassium contenu dans le phosphore, « des éléments essentiels pour la croissance des plantes et la fertilité des sols » qui font du phosphate sa rareté. C’est ce que confie Simon Jackson  maître de conférences à l’Université de Birmingham et initiateur d’un projet sur l’histoire des phosphates dans le Maghreb, au blog « Africa4 » hébergé par « Libération » et tenu par un spécialiste de l’Histoire de l’Afrique, Vincent Hiribarren. Pour Simon Jackson, « sans les engrais composés en partie de phosphore extrait de ces phosphates, nous n’aurions pas pu améliorer notre production alimentaire au cours du XXe siècle ni notre système alimentaire mondial en général ». Aujourd’hui, la grande majorité des réserves de phosphate se trouvent en Afrique du Nord « principalement au Maroc, qui contrôle à lui seul près de 6 milliards des 15 milliards de tonnes restantes », d’après ce maître de conférences à l’Université de Birmingham. Et d’ajouter : « Si la société de phosphates de l’État marocain (OCP) met en avant sur son site Internet la progression de la population mondiale et un décompte des terres arables disponibles, ce n’est pas pour rien ». En effet, à ses yeux, « l’histoire de cette poudre de roche est intimement liée à la nourriture consommée chaque jour dans le monde entier ».

« La transition d’un monde colonial vers un monde post-impérial national »

L’exploitation du phosphate a vu le jour lors des dernières décennies de la colonisation en Afrique du Nord. Les États indépendants héritent par la suite de cette industrie. « La Tunisie, l’Algérie et le Maroc en particulier sont tous devenus indépendants avec à leur disposition d’importantes infrastructures minières de phosphate mais aussi des moyens de relier ce phosphate au tissu économique : Des mines, des chemins de fer, des ingénieurs, des mineurs et des villes entières axées sur le phosphate » explique Simon Jackson. Les sociétés minières de phosphates sont alors devenues des acteurs incontournables dans la formation des nouveaux État-nations d’Afrique du Nord « en particulier au Maroc où l’OCP a fourni des revenus substantiels à l’État », selon la même source.

Gafsa : « Un paradigme pour l’exploitation du phosphate à travers le Maghreb colonial »

Les premiers gisements de phosphates ont été découverts en 1890 dans le bassin minier tunisien près de la ville de Gafsa. Par la suite, « les mines de Gafsa ont attiré rapidement des travailleurs venant de tout le Maghreb, et en particulier de l’Atlas marocain, mais aussi de Sicile et d’Algérie » selon les propos du maître conférencier. Les mines de Gafsa ont ainsi fourni « un paradigme pour l’exploitation du phosphate à travers le Maghreb colonial » qui formera ce que Simon Jackson décrit comme un « archipel » de « Phosphatevilles » à travers l’Afrique du Nord. Au Maroc, c’est sous l’impulsion des colons, des mineurs et des ingénieurs que les premières découvertes de phosphates ont été réalisées en 1914. L’OCP fut alors délibérément institutionnalisé en tant qu’institution « quasi-publique » dès sa création en 1920 pour « dominer par la suite la production de phosphate du continent » après l’indépendance, détaille Jackson. « Pendant cette période, le Maroc est également devenu le pays qui contrôlait les plus grandes réserves mondiales de phosphates, y compris à Bou-Craa au Sahara » ajoute t-il.

Création de l'Office Chérifien de phosphates (ocpgroup.ma)
Création de l’Office chérifien de phosphates (ocpgroup.ma)

Les « Phosphatevilles », foyer d’activité anticoloniale

Le travail dans les mines n’était pas sans risque. Les effondrements et les problèmes de santé faisaient partie des aléas du métier. « Un autre danger est venu des stratégies de santé des entreprises coloniales telles que la pulvérisation de DDT sur les mineurs » explique Simon Jackson. Les mineurs ont néanmoins « subverti la hiérarchie raciale coloniale et la distinction entre colons et autochtones ». Les mines sont alors devenues dans les années 1930 au centre des activités anticoloniales. Outre son savoir-faire industriel, en partie hérité de la période coloniale, l’OCP a su mener une stratégie commerciale élaborée pour s’assurer des débouchés sûrs, une fois l’indépendance du Maroc acquise.

Aujourd’hui, le géant marocain fournit près de 13% de la production mondiale de phosphates et se classe à ce titre au deuxième rang des pays producteurs selon l’USGS, le Bureau d’études écologiques américain. De plus, son sous-sol recèlerait près de 40% des réserves mondiales.

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