Devrons-nous bientôt payer plus d’impôts pour notre santé ?

Le montage financier permettant d’améliorer l’offre de soins et d’élargir la couverture médicale n’a toujours pas été trouvé. Quelles solutions s’offrent au Maroc ?

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Crédit : torange.biz

Solidaire, équitable et transparent. Voilà comment les experts de la santé au Maroc aimeraient que soit notre système sanitaire. C’est en tous cas ce qui ressort de l’enquête menée par le groupe de travail Global Santé, émanant du think tank Radius, auprès d’une quarantaine de décideurs publics et privés. Interrogés sur le thème de la couverture sanitaire universelle (CSU), les sondés (universitaires, membres du ministère, médecins, associatifs…) s’accordent presque tous pour reconnaître les grandes avancées en la matière ces dix dernières années, mais relèvent toujours trois grandes défaillances du système actuel : le manque d’infrastructures et l’obsolescence du matériel, les inégalités des offres de soins et le manque de médecins et d’infirmiers. Un déficit aigüe de ressources humaines d’ailleurs pointé du doigt par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

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Achevant sa transition démographique (vieillissement de la population) et épidémiologique (moins de maladies infectieuses mais plus de pathologies chroniques), le Maroc doit relever un enjeu de taille : soigner mieux et plus. Comment faire ? Avec la mise en place de l’assurance maladie obligatoire (AMO) pour les salariés et du Ramed pour les pauvres et vulnérables, le pays a élargit progressivement la couverture médicale. Aujourd’hui, environ 65 % des Marocains sont couverts. Quand le Ramed sera complètement généralisé et que la couverture maladie pour les étudiants et celle pour les indépendants seront mises en place, 90 % de la population devrait être couverte. Mais comment financer la CSU à laquelle le Maroc prétend ? Plusieurs experts et acteurs du monde de la Santé étaient réunis ce 9 mars pour tenter de répondre à cette question, à l’occasion de la publication du travail de Global Santé.

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Des dépenses publiques insuffisantes et mal utilisées

Comme le rappelle le secrétaire général du ministère de la Santé, Abdelali Belghiti Alaoui, seuls 6,2 % du PIB national est réservé à la santé. L’argent public alloué à chaque habitant pour sa santé est bien en deçà de la moyenne des pays à développement semblables (180 dollars contre 230 dollars en moyenne). « C’est sûr, nous sommes dans un secteur sous-financé », reconnaît le responsable. Non seulement l’Etat alloue peu d’argent, mais en plus, il semble mal utilisé. « Le budget du ministère était de 8,3 milliards de dirhams en 2008, contre 14,2 milliards cette année, c’est vrai. Mais cet argent ne vas au patient qui se rend dans un centre de santé ou à l’hôpital pour bénéficier de soin, mais est noyé dans les difficultés », reconnaît le responsable. Une réalité également mise en avant par le directeur général de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) Hazim Jajili, qui évoque « la problématique de l’efficience et du gaspillage des dépenses ».

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En plus, « dans ce budget, la part allouée aux besoins primaires est très faible. Pour plus d’équité, il faudrait que le ministère revoit ses priorités », estime Dorothée Chen, spécialiste santé, nutrition et population au sein de la Banque mondiale, qui compare le Maroc aux autres Etats.

Cotisations ou impôts ?

La Thaïlande, la Turquie ou encore le Mexique sont pris en exemple par ces responsables, pour avoir instauré une CSU en très peu de temps. Alors, existe-t-il une formule magique ? Dorothée Chen revient sur les différentes manières de financer le système de santé, nécessairement mutualiste si l’on veut qu’il soit universel. On peut décider de le financer par l’impôt (quasi exclusivement, comme à Cuba, ou en très grande partie, tel qu’au Royaume-Uni, en Espagne ou au Portugal). Avantage : l’accès au soin est ouvert à toute la population. Autre solution : les cotisations sociales. Dans ce cas, seuls ceux qui cotisent sont pris en charge. C’est le modèle choisi par exemple par la Belgique et l’Allemagne. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, chaque modèle prévoit trois sources de financement : le paiement direct par les usagers, les cotisations et l’impôt, mais équilibrent différemment les trois.

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Dans le cas du Maroc, « la part des cotisations est très importante par rapport aux pays comparateurs mais la part de l’impôt est extrêmement faible. Oui, les ressources fiscales sont excessivement faibles », remarque Dorothée Chen. L’experte précise que pourtant, dans les pays comparables au Maroc, c’est justement cet impôt qui est venu compléter les systèmes de santé financés par les cotisations sociales mais qui gardaient comme inconvénient de couvrir les pauvres et les travailleurs formels mais oubliaient le ventre mou de la population. Cet impôt a bien sûr le même désavantage que tout impôt : le mécontentement de ceux qui n’en on pas besoin, en l’occurrence ceux qui sont déjà couverts. Mais en tous cas, « quelque soit la solution choisie par le Maroc, il faudra qu’il mobilise des ressources fiscales additionnelles pour la santé », résume l’experte de la Banque mondiale, organisation pourtant connue pour son obédience libérale.

Le sucre, le gras, l’alcool et le tabac à rescousse ?

On peut imaginer un impôt sous forme d’augmentation de la TVA sur certains services (vols, jeux…) ou de taxe des « comportements à risques », en ajoutant un prélèvement supplémentaire sur les cigarettes, l’alcool, les produits très gras ou très sucrés par exemple. C’est ce qu’ont proposé certains des sondés de Radius, mais on voit déjà bien la complexité de la mise en place d’une telle mesure. En Espagne, une taxe sur les hydrocarbures participe au financement du régime de santé, une taxe sur le point d’être supprimée sous décision de l’Union européenne. « Le Maroc n’a encore jamais ouvert le dossier des financements innovants. Mais si l’Etat veut éviter de subventionner l’équilibre des régimes, il sera obliger d’y penser, ou bien d’ouvrir au privé », résume le secrétaire général du ministère.

Autre problème au Maroc : on sollicite énormément les usagers. 53,6 % des dépenses de santé sont assurés par les ménages, un problème « dysfonctionnel et anormal », pour reprendre les termes d’Abdelali Belghiti Alaoui. L’OMS considère que quand ce ratio est supérieur à 40 % du revenu non indispensable à la subsistance du ménage, les dépenses de santé sont considérées comme catastrophiques.

Des idées pour maîtriser les dépenses ?

La « rationalisation » et la « maîtrise des dépenses » sont des expressions qui reviennent beaucoup lors des débats. Le Maroc a donc tout intérêt à regarder ce qui se fait ailleurs. La Turquie par exemple, a décidé de laisser un pourcentage du prix des médicaments à la charge des malades, la France a mis en place un ticket modérateur, ou encore le tiers payant uniquement pour les génériques. De son côté la Tunisie a repris ces idées, comme celle du passage obligatoire par le médecin généraliste. A l’inverse du Maroc, elle possède un régime de protection unifié.

On peut aussi imaginer que, pensée intelligemment, la régionalisation avancée du Maroc va non seulement permettre d’adapter l’offre de soin à la demande locale, mais aussi permettre de repenser certaines dépenses. En Espagne toujours, la gestion des prestations est décentralisée au niveau des communautés autonomes mais les achats sont en train d’être davantage centralisés au niveau étatique.

A quand la fusion des caisses ?

L’idée d’une fusion des différentes caisses et régimes de soins revient régulièrement. « C’est une option qui n’est pas à l’ordre du jour parce que tous les régimes ne sont pas à leur vitesse de croisière. Mais on peut déjà anticiper en harmonisant la gouvernance et le système d’information », explique le secrétaire général du ministère. Fusionner permettrait de mutualiser certaines charges de fonctionnement mais aussi de mettre en place un régime plus équitable. Hatim Benjelloun, fondateur de Radius, raconte : « Il ressort des entretiens que la juxtaposition des régimes est un frein à l’équité. Beaucoup recommandent une caisse centrale […]. Le Ramed serait ainsi financé par d’autres régimes », pour plus de redistribution, en somme.

Et le privé dans tout ça ? Pendant des dizaines d’années, les assureurs privés se sont chargés de couvrir les Marocains qui en avaient les moyens. Alors, ces entreprises comptent bien profiter de leur part du gâteau dans cette généralisation de la couverture. « Ce n’est pas possible de généraliser la couverture sans le secteur privé de l’assurance. On ne se laissera pas faire comme ça », martèle pour sa part Bachir Baddou, directeur général de la fédération marocaine des sociétés d’assurance et de réassurance (FMSAR). Et de justifier : « C’est un domaine concurrentiel donc les sociétés ont développé une expertise qui doit être mise à contribution », Mais pour le moment, les partenariats publics privés dans le domaine de la santé concernent des prestations limitées (hémodialyse, gaz utilisés dans les hôpitaux…).

Augmentation d’impôt ou pas, privé ou pas, la CSU dépend nécessairement de la création d’emplois. Au Maroc, l’informel et le chômage sont donc des grosses entraves. Des problèmes structurels seront donc à résoudre pour aboutir à une CSU digne de ce nom.

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