Tribune. Moi, jeune psychiatre, vivant à 700 kilomètres des miens

Par La Rédaction

Rokaya Benjelloun, 31 ans, est psychiatre et travaille dans un centre médical à Tiznit. A 700 kilomètres de la « grande ville ». Témoignage.

Je n’irai pas à la marche des étudiants et des médecins en formation. Ce n’est pas faute d’en avoir envie, mais le fait est que je suis médecin spécialiste, affectée à 700 kilomètres de la « grande ville », seule, avec un bébé de neuf mois et d’astreinte.

Je travaille cinq jours par semaines et quatre semaines par mois. Je suis actuellement d’astreinte donc appelable et devant, si nécessaire être à l’hôpital dans les soixante minutes suivant l’appel.  Seule, avec un bébé de neuf mois qui dort et que j’aurais le choix de laisser seul dans son lit, ou de trimbaler dans ma voiture.

Seule et d’astreinte et jeune spécialiste donc payée…pas beaucoup. Pas assez pour faire oublier que je suis loin des miens, avec un enfant en très bas âge, susceptible de tomber malade, de tomber tout court et que je devrais gérer seule, à 700 kms de la grande ville.

J’entends un peu partout scander « aller travailler loin de chez nous pendant deux ans, oui mais seulement si on est fonctionnaires ». Seule, à 700 Kms de la grande ville, en train de laver les biberons de mon fils de neuf mois, je souris.

Attention à ce que vous demandez jeunes gens, vous risquez de l’obtenir.

En ce qui me concerne, Être fonctionnaire, je l’ai voulu, je l’ai désiré et je l’ai eu….dans l’os. Grosse fracture de l’os des illusions avec cal vicieux. La plupart de ceux qui battront le pavé sont des femmes, des mères, ou des mères en devenir. Je les invite à bien y réfléchir et à envisager ne serait ce qu’une seconde ce que c’est de devoir confier son fils à une collègue à qui l’on a dit bonjour deux fois, parce qu’une énième nounou vous aura planté la veille à 20h. Dire merci et au revoir, pleurer dans sa voiture, se maquiller et aller voir les patients venus de très loin et qui ont pour certains des rendez vous donnés depuis huit mois. Retrouver son gamin à 16h, avec le sentiment du devoir accompli, la satisfaction d’avoir « assumé son choix ».

Assumer son choix, c’est bien, c’est beau, c’est noble mais ça fait produire des radicaux libre, du cortisol et beaucoup d’amertume.

J’invite ces jeunes femmes médecins à regarder autour d’elles, à considérer le nombre de jeunes spécialistes affectés qui ont déposé leurs demandes de démissions. Ce n’est pas faute d’aimer leurs patients. Le seul truc bien dans toute cette merde, c’est eux.