Au Maroc, nous assistons depuis quelques mois à une véritable spirale d’évènements sociaux qui de par leur violence récurrente nous interpellent sérieusement sur le futur de la cohésion sociale de ce pays. En effet, depuis la polémique sur le film « Much Loved », jusqu’à l’histoire de la jupe, en passant par le lynchage en direct d’un jeune homosexuel à Fez et dernièrement les histoires d’assauts de groupes en délire sur les plages publiques, c’est une réelle violence morale urbaine qui commence à envahir l’espace social.
Mais sincèrement faut-il s’étonner de l’apparition de ces phénomènes de digression sociale alors que l’échec total du système éducatif, la panne sociale et l’impasse du politique au Maroc sont depuis un bon moment les principaux ingrédients de cette implosion qui mine la société à tous les niveaux ?
Comment s’étonner de tels comportements quand des générations de jeunes non scolarisés, sous éduqués, ou diplômés chômeurs, appartenant à la majorité précarisée, n’ont plus d’espoir, d’utopies ou de rêves que celui offert par un espace public déshumanisé, lieu de toutes les incivilités et insalubrités, ce lieu immanent des fractures sociales et où malheureusement ils laissent libre cours à leurs frustrations morales et matérielles ?
Comment encore s’étonner du paysage social quand le politique sensé gérer et cadrer les revendications légitimes de la justice sociale et de la dignité humaine est annihilé par ses propres déboires politiciens, voire quand il instrumentalise a posteriori ces débordements à des fins électorales ?
Comment ne pas comprendre d’où vient ce malaise social quand le religieux, socle identitaire revendiqué de ce pays, devient le « bouc émissaire » de notre « perfection » morale, de tous nos fantasmes ou de tous nos malheurs ?
Quand certains « modernistes » crient à la régression et l’obscurantisme devant le trop-plein de religiosité qui envahit et « pollue » nos horizons et qui obsédés jusqu’à la lie par les libertés individuelles sont incapables de la moindre empathie envers tous les autres, ceux pour qui ce concept a été dénué de sens par la misère socioéconomique?
Quand certains « prédicateurs » ou représentants du religieux, refusent d’affronter la réalité sociale, s’enferment dans leurs rhétoriques insipides et dépassées, et pire, restent impassiblement silencieux devant les injustices de tout bord, les atteintes à la dignité humaine, l’effroyable incivilité rampante, le vide intellectuel, l’absence d’éthique, la corruption généralisée, mais s’offusquent jusqu’à l’hystérie à la vue d’une jupe ?!.
Comment s’étonner quand justement ce religieux n’offre à ses adeptes que l’horizon fermé, huilé et rigoriste d’un automatisme cultuel dévoyé de son âme et de sa spiritualité, incapable d’éveiller une quelconque conscience éthique et qui reste complètement décalé par rapport à la réalité sociale ?
Il ne s’agit évidemment pas de cautionner ni d’accepter une quelconque «fatalité » de ces violences, mais d’essayer au-delà des peurs et des cris alarmistes – finalement légitimes et tellement humains – de nous poser les vraies questions, même celles qui fâchent et notamment celles qui ont à voir avec ce couple maudit du religieux avec le politique, tellement confus dans notre imaginaire social !
Le vide de sens laissé par un religieux qui a marginalisé l’éthique spirituelle et qui est alimenté par la complexité des lignes de fractures telle que la précarité sociale, politique et intellectuelle, fait que tous les horizons deviennent bouchés, les espoirs perdus et le rêve d’un monde meilleur inimaginable…
Alors comment s’étonner encore qu’une morale de l’ordre de l’inquisition, sans foi ni loi, ne gagne du terrain et ne devienne malheureusement la seule alternative, celle d’une illusion de la dignité pour ceux qui ont tout perdu ?