Dans 20 conclusions implacables pour la CIA, le rapport de 525 pages expurgé et publié par la commission du Renseignement du Sénat, contrôlée par les démocrates, et rendu public ce 9 décembre, accuse l’agence d’avoir soumis 39 détenus à des techniques brutales pendant plusieurs années, dont certaines n’étaient pas autorisées par l’exécutif américain et que le Sénat décrit en détails.
Barack Obama, qui avait mis fin au programme à son arrivée au pouvoir en janvier 2009, a réitéré que ces méthodes avaient « fortement terni la réputation de l’Amérique dans le monde ». Il a salué l’effort de transparence, afin de tourner la page.
Détenus jetés contre les murs, dénudés, placés dans des bains glacés…
« La CIA a employé ses techniques d’interrogatoire renforcées à répétition pendant des jours et des semaines », décrit le rapport. Les détenus ont été jetés contre les murs, dénudés, placés dans des bains glacés, empêchés de dormir pendant des périodes allant jusqu’à 180 heures. Le détenu Abou Zoubeida, après avoir subi des simulations de noyade à répétition, « avait de la mousse sortant de la bouche », quasi-inconscient.
Au total, 119 détenus ont été capturés et emprisonnés dans le cadre de ce programme secret de la CIA, dans des sites dits « noirs », dans d’autres pays. L’une de ces prisons secrètes est qualifiée de « dongeon ».
« A aucun moment les techniques d’interrogatoire renforcées de la CIA n’ont permis de recueillir des renseignements relatifs à des menaces imminentes, tels que des informations concernant d’hypothétiques »bombes à retardement » dont beaucoup estimaient qu’elles justifiaient ces techniques », conclut le résumé du rapport.
La commission accuse la CIA d’avoir menti, non seulement au grand public mais aussi au Congrès et la Maison Blanche, sur l’efficacité du programme, notamment en affirmant que ces techniques avaient permis de « sauver des vies ». Une assertion répétée mardi par la CIA, qui était préparée à la déclassification du rapport et en a rejeté immédiatement les conclusions.
Le directeur John Brennan a admis que l’agence avait commis des erreurs en utilisant la torture, mais insisté que cela avait permis d’empêcher d’autres attentats, et de « sauver des vies ». Au Congrès, la rapport a été vivement rejeté par des chefs républicains comme une « réécriture d’événements historiques ».
État d’alerte avancée
Fruit de plus de trois ans d’enquête (2009-2012), le rapport de la commission sur un programme vieux de plus d’une décennie, et arrêté dans ses aspects les plus secrets depuis 2006, a relancé un débat jamais tranché aux États-Unis : la torture après le 11-Septembre était-elle justifiée ?
Les hommes au pouvoir sous la présidence de George W. Bush, notamment le vice-président Dick Cheney, et d’anciens chefs de la CIA, disent assumer et ont multiplié les interventions ces derniers jours pour défendre leurs décisions.
Mais au-delà du débat, de nombreux républicains disent craindre que la transparence ne donne du grain à moudre aux « ennemis » de l’Amérique, et suscite des représailles, similaires à la période ayant suivi les révélations sur les abus dans la prison irakienne d’Abou Ghraib en 2004. Le secrétaire à la Défense Chuck Hagel a demandé aux commandants militaires américains dans le monde de se mettre en « état d’alerte avancée », bien qu’aucune menace spécifique n’ait été identifiée.
Avant la publication, Barack Obama s’était entretenu par téléphone avec la Première ministre polonaise, Ewa Kopacz, pour réaffirmer les liens entre les deux pays. La Pologne a vraisemblablement abrité l’une des prisons secrètes de la CIA, bien qu’elle nie officiellement. Aucun pays ayant collaboré avec la CIA n’est nommé dans le rapport.
Après les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush a secrètement chargé la CIA de capturer et interroger des hauts responsables d’Al-Qaïda dans le monde. Au cours des années suivantes, en secret, l’agence d’espionnage a emprisonné les détenus de plus grande valeur dans des sites secrets, où ses interrogateurs usaient des méthodes « renforcées », hors de toute procédure judiciaire.
Quand le secret a été éventé, à partir de 2005, George W. Bush a fermé les centres de détention secrets mais le « programme » d’interrogatoire a continué jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Barack Obama en janvier 2009.
Ivan Couronne / Jérôme Cartillier
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