Dans le quartier Bourgogne, dans l’immeuble voisin aux trois qui se sont effondrés, la vie continue, difficilement. Toute une famille y habitait avant le drame qui a endeuillé la ville entière. Au rez-de-chaussée, les volets sont clos, une ambiance pesante y règne. Plusieurs personnes y sont rassemblées afin de parler des suites à donner aux récents événements.
Fatima* explique sa situation :
Je suis revenue de France dès que ma sœur m’a prévenue de l’effondrement du domicile de mes parents. J’ai alors appris qu’ils sont morts ensevelis sous les tonnes de gravats.
Tandis qu’elle raconte cela d’une voix tremblante, son regard se détourne petit à petit et se plonge dans le vide. Assise à côté d’elle, sur un petit coussin brodé, l’une de ses amies pose sa main sur son épaule, afin de la rassurer et de l’encourager à continuer son récit :
Depuis, nous réclamons comme tous les autres habitants de récupérer un logement. Mais pour le caïd je n’habitais pas avec mes parents donc je n’y ai pas droit.
Une fois le récit de sa voisine terminé, Aïcha se lève pour montrer les dégâts qui ont touché son appartement. Après le salon, elle ouvre une porte qui devrait normalement donner sur la cuisine. La lumière est aveuglante, et il faut laisser ses yeux s’habituer quelques secondes pour se rendre compte de l’ampleur du désastre. En s’effondrant, l’immeuble voisin a percé une brèche de plusieurs mètres dans sa cuisine et a laissé un trou béant en plein milieu de celle-ci : « Je suis sortie de la cuisine quelques minutes avant que ça arrive, j’ai eu beaucoup de chance » dit-elle. Au sol, le sang d’une victime de l’immeuble effondré se mêle aux gravats, et témoigne de l’extrême violence de l’affaissement.
Puis elle monte à l’étage, enjambant les marches deux à deux. Elle veut raconter ce qui est arrivé à son fils, dont la chambre était à l’étage mais a été partiellement détruite :
Mon fils était en haut, avec ma mère. Au moment où l’immeuble a commencé à s’effondrer, ma mère allait descendre les escaliers. Mon fils a réagi sur le coup et l’a tiré vers l’intérieur de sa chambre. Il lui a sauvé la vie.
Sur le promontoire qui surplombe le chantier de déblaiement, une odeur âcre, nauséeuse, se fait sentir. Le malaise de Aïcha est perceptible :
c’est l’odeur des corps qui restent. Les autorités ont tenté de nous rassurer en nous disant que ça n’est que la viande stockée qui pourrit. Mais je ne pense pas à une odeur de viande. Hier, ils sont venus avec du produit désintoxiquant pour tenter de faire partir cette odeur de mort, et ils nous ont donné des flacons à déverser devant nos fenêtres.
Arrivent alors les grands-parents de l’actrice Amal Maarouf, décédée dans l’effondrement. Ceux-ci sont debout sur le toit, et admirent le triste spectacle qui a détruit leur famille. L’émotion du deuil passée, c’est la colère et l’incompréhension qui habitent ces deux personnes d’un certain âge. « Maintenant, nous voulons une indemnisation. Les autorités n’ont même pas été capables de sauver notre petite fille, alors nous voulons un geste, du concret ».
Relogement : une forteresse impénétrable
Une bonne partie des habitants, rescapés de l’effondrement et ayant pu prouver qu’ils y résidaient, ont été relogés provisoirement au complexe sportif de Bourgogne, aussi appelé centre d’accueil de Bourgogne. Mais une fois arrivés devant celui-ci, la porte est close. Une vieille dame s’en approche, sacs de courses à la main. Le gardien a l’air de la reconnaître et lui ouvre la grille. Au moment de passer la grille, le gardien nous interpelle, nous signifiant qu’on ne peut pas accéder à l’intérieur.
En nous faisant passer pour des membres de la famille d’un habitant, nous arrivons tout de même à approcher la vieille dame pour accéder aux lieux. Celle-ci s’avance, et commence à échanger quelques mots. Elle parle à voix basse, visiblement intimidée, jetant quelques regards furtifs vers le gardien qui ne quitte pas la zone des yeux : « Nous n’avons pas le droit de parler. Enfin, nous avons reçu des consignes, ils nous ont dit de ne pas communiquer. Nous ne sortons que pour faire nos courses. »
A quelques pas de là, le gardien veille toujours à ce que nous ne nous éloignions pas. La dame continue son récit : « Ils nous ont dit qu’ils allaient nous reloger, nous soigner, et nous nourrir, non ? Et pourtant… Depuis quelques jours, nous devons nous-même aller faire nos courses, ils n’acheminent plus de nourriture. Pareil pour les soins ! Mon mari a dû partir se faire soigner chez ma fille. Il s’est blessé au visage pendant l’effondrement, et ici ils ne lui payent pas ses soins. Moi, je reste ici pour le moment, je dois représenter la famille devant les autorités. »
Autre problème qui se pose, celui du relogement des sinistrés. Les plus chanceux ont été relogés dans des appartements à Sidi Bernoussi. Au centre sportif en revanche, on est encore dans l’expectative :
On nous a annoncé il y a quelques jours qu’ils ne nous relogeraient pas gratuitement. Et que l’on devra débourser 100 000 dirhams pour accéder à un nouvel appartement, qui plus est situé en périphérie de la ville.
Le gardien se fait de plus en plus insistant : nous devons quitter les lieux. A peine entrés dans le complexe, nous ne pourrons aller plus loin. La vieille dame, quant à elle, retourne dans une petite baraque de béton que l’on peut apercevoir depuis l’entrée du centre sportif.
*Les prénoms ont été changés. Certains bénéficiaires ne souhaitant pas avoir des problèmes avec les autorités.
Lire aussi nos articles sur l’effondrement des immeubles de Bourgogne :
Sa majesté le roi Mohamed 6 a debloqué 1.7 milliards de dirhams, qui servira a reloger les habitants des immeubles qui se sont effondrés, mais aussi pour reloger les habitants d’un même typbe d’immeuble, à savoir présentant les memes risques d’effondrements que les 3 derniers.