Pour ceux qui ne le connaissent pas, Mustapha Chakib est un fervent défenseur du patrimoine architectural de Casablanca. A l’occasion des journées du patrimoine, cet ancien président de l’association Casamémoire (2003 à 2007), architecte de formation, nous offre une plongée au cœur de la mythique place Mohammed V. Suivez le guide !
Il faut d’abord savoir que l’actuelle place Mohammed V a connu de nombreuses dénominations : place administrative, place de la Victoire, place du général Lyautey…
Au début du Protectorat, la place est un terrain militaire choisi pour sa proximité avec l’ancienne Médina. Elle comptait un grand nombre de casernes.
En 1915, Henri Prost met en place un plan d’urbanisme délimité par un grand boulevard semi-circulaire. La ville nouvelle se dessine alors comme extension de la Médina et du port afin d’accueillir des hôtels, des grands magasins, des banques et des services. La place administrative constitue le cœur de l’implantation du protectorat français comme un lieu de pouvoir et de loisirs des élites politiques et militaires. C’est aussi l’articulation entre la Médina et les quartiers résidentiels qui se développent vers l’est.
Le dessin de la place imaginée par Prost est confié à Joseph Marrast (1881-1971), un architecte français qui travaille au cabinet Henri Prost. L’architecte est également chargé de la construction du palais de justice sur cette même place.
Nés de la volonté de Lyautey de mettre en valeur les arts marocains tout en alliant tradition et modernité, les édifices sont de style néo-marocain ou « architecture officielle ». Cependant, c’est une architecture qui se distingue par sa modernité et sa sobriété plus proche de l’architecture turque contemporaine que des édifices construits à Tunis ou Alger à la même époque.
Dans l’ordre des constructions, on trouve à partir de 1916 le consulat de France (Albert Laprade), au nord-ouest de la place la grande poste (1918-1920, Adrien Laforgue), à l’est, le Palais de justice (1922). Au nord un théâtre provisoire construit par Delaporte reste en place une cinquantaine d’années. Plus bas, l’Hôtel de ville (actuellement Wilaya) conçue par Marius Boyer en 1936, et sa tour de 50m de haut. La Banque du Maroc qui date de 1937 est construite par Edmond Brion.
Consulat de France
L’hôtel de la Subdivision militaire, abritant actuellement le consulat de France, est le premier bâtiment construit dans la future place Mohammed V, encore occupée par les campements militaires installés depuis 1907. Le plan imaginé par Prost en 1915, articule les quartiers du port, cette future place Administrative et les quartiers résidentiels amorcés par le Parc. Négocier ces terrains avec l’armée sera le premier grand geste d’urbanisme inaugurant une politique de remembrement permettant la définition des grands axes de la ville nouvelle. Laprade fait partie des l’équipe de Prost. Il implante l’hôtel en retrait et dans la parcelle en pan coupé, située entre les futurs Palais de justice et le futur hôtel de Ville. Le bâtiment reflète la passion de Laprade pour l’architecture marocaine. Son allure de pavillon résidentiel aux couronnements de tuiles vertes, illustre la volonté des services de la Résidence de rendre discrets les bâtiments à vocation militaire. Le jardin donnant sur la place, abrite aujourd’hui la statue de Lyautey, déplacée du square d’en face aux lendemains de l’Indépendance.
La poste
Construite en même temps que l’actuel consulat de France, à l’opposé de la place, alors partiellement occupée par les campements militaires, la Poste est l’œuvre d’Adrien Laforgue (auteur également de la gare de Rabat-ville), qui prend pour modèle la Grand Poste d’Alger, construite quelques années auparavant. L’architecte entame, ici, un travail remarquable sur les décors de zellijs, notamment la frise verte et bleue du couronnement, sous l’auvent recouvert de tuiles vertes, ainsi que le magnifique panneau bleu et noir marquant les entrées sous le portique.
Palais de justice
L’édifice constitue l’élément majeur de la place qu’il limite à l’est comme un fond de scène. Il est accessible par un escalier imposant et une porte monumentale, abritée par un porche de pierre sculptée, couronné d’une frise exceptionnelle de zellijs verts et bleus, l’ensemble évoquant irrésistiblement l’architecture islamique des mosquées et medersas d’Iran ou d’Ouzbékistan. De part et d’autre, une large galerie ouverte, aux plafonds de cèdre peint, longe les patios richement plantés et fait office de salle des pas perdus. Dans l’axe de l’entrée, la grande salle d’audience se présente entièrement lambrissée –murs et voûtes-, ce qui lui confère une atmosphère particulière. Le Palais de justice, seul bâtiment que l’architecte a construit au Maroc, exprime de façon magistrale de style néo-marocain, mettant en valeur les arts traditionnels locaux. Joseph Marrast a œuvré, au sein de l’équipe Prost à des travaux d’ordre urbanistique. C’est à lui que l’on doit, entre autres, le dessin définitif de la place Administrative.
Bank Al Maghrib
Tout dans ce bâtiment (le dernier construit sur la place) de l’architecture monumentale au plus petit détail, est digne d’intérêt. Brion signe ici une œuvre considérée comme un des exemples les aboutis du style néo-marocain. La façade principale, classique, est ornée d’une frise monumentale de pierre sculptée, prolongée d’un panneau de losanges d’inspiration almohade, autour de des baies de la grande salle de réunion. La richesse des décors (pierres, zellijs, ferronneries, lambris marquetés) est couplé dans la conception, à la modernité du fonctionnement. C’est la première Bank Al Maghrib que Brion construit seul après celles de Marrakech, El Jadida, Oujda et Rabat réalisées avec Cadet.
Wilaya du Grand Casablanca
La Wilaya, ex-hôtel de ville, est avec Bank Al Maghrib, le dernier bâtiment construit place Mohammed V. En 1927, Boyer remporte le concours de l’hôtel de ville, achevé en 1937. Le corps principal du bâtiment, signalé par le campanile de l’horloge, est constitué d’une colonnade, sobre et stricte, abritant l’entrée, surmontée d’un large balcon à arcades et de trois ouvertures monumentales encadrées de pierre. A l’intérieur, sur deux niveaux, une galerie entoure trois grands patios plantés, desservant les services publics. Elle est doublée, sur les façades, par une circulation ouverte, permettant la liaison directe entre les bureaux. Répondant aux codes imposés par la Résidence, Boyer mélange les styles : l’art-déco, dans le hall et double escalier d’honneur aux paliers ornés de deux toiles de Majorelle, le néo-marocain avec les arcades, les tuiles vertes et les zellijs de la façade, des lambris des circulations, de la salle des fêtes et des colonnes des patios. Le résultat est un joyau de cette architecture néo-chérifienne caractéristique des bâtiments administratifs du Maroc sous protectorat.