Edito - Akhannouch : le business ou la politique ?

Par Aicha Akalay

Commençons par lever un doute : Aziz Akhannouch ne sera pas Chef de gouvernement pour les cinq prochaines années. Un tel scénario contredit tellement l’esprit de la Constitution de 2011 qu’il est carrément irréaliste. Une rumeur au mieux, une hypothèse de salonnards qui jouent à se faire peur. Seul Abdelilah Benkirane jouit aujourd’hui de la légitimité des urnes et de la désignation royale. Son impasse actuelle ne peut être résolue que par lui, même si les autres chefs de parti ont un rôle à jouer. Dans ce jeu à multiples bandes, beaucoup d’entre eux ont montré qu’ils étaient dénués d’autonomie et de courage. Cette faiblesse est celle de toute la classe politique et elle contribue évidemment à retarder l’échéance démocratique.

Revenons aux deux personnalités, dont le duel se précise. Benkirane est le premier à reconnaître que son ministre de l’Agriculture est une personnalité incontournable pour constituer sa prochaine majorité. L’homme du Souss est bien sûr proche du souverain, il est aussi écouté. Mais ce ne sont pas là les seules raisons de son poids. “D’un point de vue purement humain, Akhannouch est un vrai ould nass. Benkirane a plus confiance en sa parole qu’en celle de Lachgar par exemple”, nous confie un membre du gouvernement. Il est même aisé de deviner que Chabat ne jouit pas d’une estime aussi grande. Même quand il lui est arrivé de hausser le ton, lors de la polémique sur le Fonds de développement rural par exemple, “Akhannouch est resté très poli, jamais un mot déplacé”, concède un de ses opposants politiques.

La stratégie du Palais pour imposer des tribuns populistes face à l’hégémonie du PJD n’a rien donné. Pour beaucoup d’observateurs politiques, la création du PAM a été une erreur. Aziz Akhannouch, lui, semble être la nouvelle alternative pour contenir la déferlante islamiste. Il oppose aux représentants du parti de la lampe d’abord un style. Jamais de polémiques, de superflu et de débats harassants. Il a une stature internationale dont peu de dirigeants politiques jouissent. L’homme est surtout méthodique, exige des résultats et coopte dans son cabinet des profils pointus. Il est le seul ministre à concentrer autant de compétences, des diplômés de grandes écoles françaises et américaines, jeunes, qu’il n’hésite pas à responsabiliser. Bien sûr, tout cela a un coût, et il le supporte à ses frais. C’est aisé quand on est milliardaire, répondront ses détracteurs.

Et c’est justement dans son statut d’homme d’affaires que réside sa grande faiblesse. Aziz Akhannouch semble déterminé à transformer le RNI, à le doter d’une jeunesse et d’une section féminine militantes. Il dit aussi être conscient de devoir travailler sa popularité sur le terrain auprès des électeurs. Aujourd’hui, Le Palais ne peut pas faire d’Akhannouch un vainqueur forcé et de Benkirane un exclu. Quand bien même il en rêverait. C’est 2021 qu’Akhannouch prépare. Mais l’énorme conflit d’intérêts entre sa présence importante dans des secteurs stratégiques de l’économie marocaine et les responsabilités d’un Chef de gouvernement dressent un mur entre l’ambition et la réalité. S’il veut se présenter comme tout homme politique légitime il faut qu’il éprouve la dureté d’une compétition électorale. Qu’il s’y prépare. Restera ce choix cornélien pour donner tout son sens à son slogan “Agharass agharass” : le business ou la politique ?