Rencontre avec Sengboni, la belle fille de Mobutu installée à Rabat

Sengboni Te Litho, personal shopper rbatie, a connu une vie rocambolesque, marquée du sceau des splendeurs et décadences de Mobutu, l’ancien président du Congo mais aussi son beau-père.

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Sengboni Te Litho. Crédit: DR

Parfaite anonyme au Maroc, où elle est installée depuis 2012, Sengboni Te Litho est une personal shopper qui fait des achats au Maroc pour de riches Congolais. Son look excentrique, ses lunettes Miu Miu et son sac Chanel pourraient laisser croire que c’est une pop-star. De bon matin, nous nous donnons rendez-vous sur le rooftop d’un hôtel chic de la capitale. Autour d’un café et de micro-gâteaux (c’est la tendance), Sengboni nous raconte ses pérégrinations. C’est une businesswoman au parcours chargé d’histoire, bien malgré elle. C’est qu’elle est la belle-fille du deuxième président de l’ex-Zaïre, le maréchal Mobutu Sese Seko, qui a gouverné d’une main de fer durant 35 ans, de 1965 à 1997, le pays qui deviendra la République démocratique du Congo (RDC).

Mobutu, “un papa strict, mais génial”

Rembobinons. Sengboni te Litho, ou Boni, voit le jour en 1974 dans une voiture à Kinshasa. “Je suis née au moment même de sortir de la voiture qui emmenait ma mère à l’hôpital”, nous confie Sengboni, qui ajoute en riant : “Elle me dit tout le temps : “Je comprends pourquoi tu aimes tant sortir” ”. Elle n’a que 8 ans à la mort de son père, riche ingénieur agronome. Sa mère, Kosia, est la sœur jumelle de la deuxième femme de Mobutu, et ce dernier la prend elle aussi comme compagne. Kosia vivra aux côtés du maréchal jusqu’à son dernier souffle. Sengboni décrit Mobutu comme “un papa strict, mais génial. […] À 18 h on devait être à la maison, et tous les dimanches à 11 h on devait aller à la messe. Il disait : “Si vous arrivez à 11 h 02, ce n’est pas la peine de rentrer” ”. Elle mène une vie insouciante et joyeuse, sous le régime totalitaire du maréchal.

En 1990, elle quitte en catastrophe un Zaïre économiquement dévasté et enflammé par la révolte populaire, direction la Suisse. “On ne comprenait pas ce qu’il se passait, mais seulement que mes parents voulaient qu’on parte à l’étranger”, précise Te Litho. Élève turbulente, elle passe par trois prestigieuses écoles privées suisses et rate son bac. Elle plie bagage pour l’institut Charlemagne, à Paris, mais là aussi elle rate le coche. Boni réfléchit alors à des pistes de secours. Elle aurait bien aimé être chanteuse, mais elle se tourne vers la communication. Elle tombe, en feuilletant un magazine, sur l’ISG, une école de commerce à Paris qui peut l’accueillir.

Fêtes à Paris et troubles au Congo

Pendant ce temps, Mobutu et son régime sont sérieusement ébranlés. Lui-même est très affaibli par un cancer de la prostate. “On n’était pas vraiment conscients de ce qu’il se passait au pays. Jamais on n’aurait cru que ça pouvait s’arrêter un jour”, explique-t-elle. Les choses s’accélèrent en mai 1997, lorsque Laurent-Désiré Kabila renverse le pouvoir en place. Le “Léopard du Zaïre” quitte le pays, et meurt en septembre 1997 à l’hôpital militaire de Rabat. Il gardera le silence plusieurs semaines, jusqu’à sa mort. Le cœur serré, elle nous dit : “C’était un moment difficile. On a fait un deuil d’une année”.

La vie parisienne continue pour Sengboni. Elle termine ses études en 2001, après un an dans une autre école de commerce, l’ESLSCA. Mais la jeune femme se retrouve sans papiers. “Il fallait que je trouve un job, c’était nouveau pour moi. Dans le milieu où j’ai évolué, on ne nous a jamais appris à en trouver”. Elle multiplie les “petits boulots au noir”, s’occupe des relations publiques (RP) de bars de la capitale française. Sengboni écume le monde de la nuit et en profite pour étoffer son carnet d’adresses. Elle avait ses habitudes aux Bains Douches, célèbre club mondain à Paris. “C’était la folie, je rencontrais tout le temps des stars : P. Diddy, Leonardo DiCaprio…”. La jeune femme a même dansé avec la chanteuse américaine Mary J. Blige. La réalité la rattrape et elle se trouve contrainte de quitter la France pour Bruxelles, où une romance avec un fleuriste la retient quelque temps. Trois ans plus tard, elle change d’avis. “Sur un coup tête, j’ai décidé de rentrer au pays. Comme disait un ami, j’étais une lionne en cage, en Europe”, raconte-t-elle.

Comeback à Kinshasa

Le night-clubbing la rattrape à Kinshasa, où elle travaille à nouveau comme RP, dans le “premier” bar lounge du pays. “C’était tout le temps plein, les gens étaient curieux de savoir ce qu’on était devenus”, se souvient Sengboni. Rétive à toute autorité patronale, la jeune femme crée son entreprise, STL PR and Entertainment, en 2006. Elle organise mariages, anniversaires, baby showers et autres soirées mondaines — et s’occupe même de prestations pour les ministères de l’Emploi et de l’Agriculture. Six ans s’écoulent ainsi et, après l’échec d’une relation amoureuse, Boni rejoint sa mère à Rabat. “J’y ai passé 2 ans à faire la fête, je n’avais pas rencontré les bonnes personnes”, se souvient avec regret la jeune femme. C’est maman qui régale. “J’habite chez ma mère, je n’ai pas besoin d’argent”.

Les années de vacuité écoulées, elle décide de reprendre une activité et d’en faire un pont entre le Maroc et son pays. “Au Congo, les riches cherchent à faire leurs emplettes à l’étranger. Mais pourquoi aller en Europe quand il y a le Maroc ? Les prix sont meilleurs, il fait beau…”, explique Sengboni Te Litho. Elle décroche en 2015 l’organisation du 80e anniversaire de Léon Kengo, président du Sénat congolais. La personal shopper et la fille de son client sillonnent Rabat, Casablanca et Fès pour préparer la fête. Elles arrivent à Kinshasa avec tapis, nappes, vaisselle et vins du Maroc. Mais la politique la rattrape. “Comme je n’hésitais pas à critiquer le gouvernement en place, ça m’a valu des menaces d’emprisonnement notamment. J’étais inquiète. […] J’ai écrit un texto d’alerte pour l’envoyer illico à une amie journaliste à CBS, en cas d’incident”, ajoute-t-elle dans un éclat de rire.

Le voyage lui fait du bien : “À Kinshasa, ça pue, c’est désorganisé, c’est le chaos urbanistique, mais c’est génial !”. Elle y passe quelques mois et, en marge de l’organisation de soirées, elle part à la conquête de clients marocains : “Je ne savais pas qu’il y avait autant de Marocains au Congo. C’est un ami banquier qui m’a mis la puce à l’oreille”. De retour Rabat, elle prépare aujourd’hui, pour le mois de ramadan, des commandes pour des Marocains du Congo.

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