Absorber la demande croissante qui sera déclenchée par la généralisation de l’AMO pour le système de santé, investir dans les infrastructures, recruter des ressources humaines, réorganiser la gouvernance du secteur : le chantier de la réforme du système de santé qui se dresse devant l’État est colossal.
Cet article a été initialement publié le 10 juin mais a été réformé pour prendre en compte les récentes évolutions liées à la réforme du système de santé.
La réforme du système de santé connait un sacré coup d’accélérateur. Le 13 juin, le Chef de gouvernement Aziz Akhannouch présentait les grandes lignes de la réforme du système de santé devant le Parlement. Un mois plus tard, jour pour jour, un Conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI adopte ce qui devrait constituer la pierre angulaire de cette réforme, le projet de loi-cadre sur le système de santé. Une réforme capitale pour le pays qui commence déjà à se concrétiser. Car d’ici la fin de l’année 2022, l’Assurance maladie obligatoire (AMO) devra couvrir près de 22 millions de Marocains supplémentaires. Une intégration massive qui mènera inexorablement à la création d’une forte demande en soins dans un pays manquant sévèrement d’infrastructures nécessaires et de personnels médical et paramédical. Ambitieuse, la réforme de la protection sociale, et plus particulièrement la généralisation de l’AMO, doit mener à un investissement massif dans de nouvelles infrastructures ainsi qu’à une restructuration de la gouvernance du secteur. Le tout devra être accompagné d’un recrutement conséquent de ressources humaines. Mais que prévoit l’État pour remplir ses objectifs? Point d’étape et indiscrétions.
Six milliards d’investissement et un réseau local renforcé
Face visible du système de santé, l’infrastructure hospitalière a bénéficié d’une enveloppe de six milliards de dirhams en 2022 pour sa mise à niveau. Un quart de cette enveloppe, 1,5 milliard de dirhams, ira à la construction de nouveaux Centres hospitaliers universitaires (CHU) à Laâyoune et Rabat. Plus de la moitié de ce budget, 3,4 milliards de dirhams, sera allouée à la construction et la mise à niveau de centres hospitaliers provinciaux (CHP) et régionaux (CHR).
A noter qu’une enveloppe de 500 millions de dirhams sera dédiée à la mise à niveau des établissements de santé de soins primaires (ESSP). L’objectif de ce relifting des infrastructures ? Renforcer la dimension régionale de l’offre sanitaire. Selon nos informations, une nouvelle organisation de l’offre sanitaire est prévue. Une nouvelle configuration dans laquelle le rôle des centres de santé de proximité serait renforcé. Car l’ensemble de ces infrastructures devrait, selon nos informations, venir s’intégrer dans un nouveau système nommé “Groupement sanitaire de territoire” (GST).
Une offre de soin régionale réorganisée
À la base de ce nouveau système, les ESSP qui auront pour mission de fournir l’offre de soins de proximité et feront office de point de référence à travers l’exercice de la médecine générale, de la pédiatrie, de l’obstétrique et des soins intensifs. Les deuxièmes points de relais du GST seront les CHP. Ces derniers pourront également fournir une offre de proximité de base à laquelle viendront s’ajouter des spécialités médicales comme l’ophtalmologie ou encore la réanimation. Au troisième niveau de cette nouvelle offre régionale, on retrouve les CHR qui devraient, eux, se positionner sur des spécialités médicales au niveau régional ou interrégional en offrant, par exemple, des soins d’oncologie et de neurochirurgie.
L’idée derrière cette restructuration, semblerait donc de fournir une offre de soin plus ou moins complète en fonction de la dimension des centres de soin qui les dispensent. Au sommet de la pyramide on retrouve les CHU qui auront à charge de gérer tous les établissements de soin dépendant d’un GST. La réorganisation de l’offre au niveau régional doit, in fine, permettre aux CHU de se focaliser sur leurs principales missions. Parmi elles, le développement de projets de recherche scientifique, le renforcement de la formation médicale ainsi que la mise en place d’un positionnement sur des spécialités pointues. À terme, les CHU pourraient être amenés à devenir des centres d’expertises médicales nationaux pour certaines spécialités.
Une révolution nommée HARIS
Les GST ne sont qu’un maillon de la restructuration de la gouvernance du système de santé marocain. La véritable révolution qui se cache derrière cette réforme n’est autre que la création prochaine d’une Haute autorité de la régulation intégrée de la santé (HARIS). Selon nos informations, la HARIS serait une super structure qui prendrait la forme d’une instance d’orientation stratégique complètement indépendante du système de santé et permettrait de garantir une continuité de la stratégie de l’État dans le domaine. D’un point de vue légal, la HARIS est vouée à être un établissement public doté d’une personnalité morale et d’une autonomie financière. Cette haute autorité serait liée à l’État par un contrat de performances et bénéficierait d’un pouvoir coercitif lui permettant de sanctionner les acteurs du secteur. La HARIS devrait être pilotée par un Haut-commissaire à la santé dont le mode de nomination n’a, selon nos informations, toujours pas été défini. Cette structure devrait se voir confier trois rôles clés qu devraient être igérés au sein de trois pôles dédiés. Le pôle en charge de la “stratégie et la politique de santé publique” devrait ainsi se voir confier la gestion du modèle de formation du personnel de santé ainsi que son ingénierie dans l’optique d’adopter les compétences des futurs professionnels de la santé aux besoins du système. Autres attributs clés de ce pôle : la mise en place d’une stratégie nationale de la santé, la planification des investissements dans le secteur ou encore les recommandations de protocoles de soins de santé.
Le pôle “supervision des agences de régulation du système de santé” devrait lui inclure des structures bien connues du domaine pour assurer une régulation complète du secteur. Une structure comme l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) sera, selon nos informations, intégrée au sein de ce pôle. Idem pour des directions centrales du ministère de la Santé comme la Direction du médicament et de la pharmacie, la Direction des hôpitaux ainsi que la Direction de l’épidémiologie. Toutes seront rebrandées en agences dépendant directement de la HARIS et permettront de créer un ensemble en charge de la régulation des assurances, de l’évaluation des établissements de santé ou encore du contrôle des médicaments. Ce nouveau pôle devrait également inclure une Agence de la performance de la santé qui sera chargée d’évaluer la performance du système.
Quid de la tutelle ?
Enfin, le dernier pôle prévu au sein de la HARIS devrait être consacré à la surveillance du système de santé et à la mise en place de fonctions mutualisées. Ce pôle se verrait notamment charger de la mise en œuvre d’un système informatisé intégré pour l’ensemble du système de santé. Il devra également faire office de centre de contrôle en assurant, entre autres, la surveillance épidémiologique. Enfin, ce pôle devrait également inclure un Observatoire de la santé chargé de la collecte de données et de réalisation d’enquêtes sur le secteur. Dépossédé de plusieurs de ses directions centrales, quel rôle se verrait confier le ministère de la Santé dans cette réorganisation du système de santé marocain?
Dans cette reconfiguration, le ministère ferait office de courroie de transmission entre la stratégie, incarnée par la HARIS, et les différents acteurs du secteur. Parmi eux, 12 petits nouveaux: les Agences régionales de développement de la Santé (ARDS). Présentes dans chaque régions du royaume, les ARDS seront la “face locale” du système de santé. Elles seront chargées à la fois de la planification de la formation au niveau des régions, de l’impulsion des investissements publics et/ou privés ou encore de la supervision des tarifs au niveau régional. À ces fonctions vient également s’ajouter la supervision des centres de santés publics dans la région et donc… des GST.
Le défi des ressources humaines
L’autre volet de réforme est les ressources humaines. Le Maroc dispose de 7 médecins et 8 infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants, contre 13 médecins et 29 infirmiers et sages-femmes en Tunisie. Un effectif en deçà des normes OMS. Celle-ci juge improbable que les pays disposant de moins de 23 professionnels de santé (en ne comptant que les médecins, le personnel infirmier et les sages-femmes) pour 10 000 habitants obtiennent des taux de couverture convenables pour les interventions essentielles en matière de soins.
Une revalorisation des salaires du corps médical a aussi été décidée. Un accord a été signé, le 24 février, par le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, et le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaâ, avec sept syndicats de la profession, en faveur d’une revalorisation salariale des médecins, pharmaciens et dentistes. Ces professions décrochent l’indice 509 sur la rémunération à compter de janvier 2023. Celle-ci équivaut à un grade de doctorat et se traduit par une augmentation de 3500 dirhams quand les salaires de ces professions débutaient entre 8000 et 9000 dirhams. Le dernier volet de cette grande réforme est la formation des médecins. Dans une note adressée aux présidents des universités publiques, datée du 17 février, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a annoncé la volonté du gouvernement de réduire d’un an la durée de formation en médecine “à partir de la rentrée prochaine”, passant de sept ans de formation à six.
Cette décision permettra de raccourcir et de rendre la formation du médecin plus efficace. Suffisant pour répondre au besoin quantitatif ? Le prochain défi de taille devrait être de retenir les médecins au Maroc. Selon un rapport parlementaire sur la fuite des cerveaux présenté en juin 2021, 603 médecins ont quitté le Maroc en 2018, soit 30% du nombre de diplômés des facultés de médecine et de pharmacie pour la même année. Une hémorragie qu’il est urgent de stopper.