Le ministre préfère utiliser le terme power skills plutôt que soft skills. Crédit: DR

Abdellatif Miraoui : “Nous travaillons au montage de parcours consacrés à l’Intelligence artificielle”

En décembre 2022, Abdellatif Miraoui, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, a dévoilé les axes du Pacte ESRI-2030. Un projet de réforme ambitieux et multidimensionnel pour l’université marocaine, notamment axé sur la transition digitale et l’innovation.

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En décembre dernier, vous avez révélé les principaux axes du PACTE ESRI-2030. De quel besoin est né ce processus de réforme ?

Abdellatif MiraouiCrédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Le PACTE ESRI-2030 est porteur d’une nouvelle dynamique qui vise à impulser la qualité et le rendement de l’écosystème universitaire, afin qu’il puisse répondre avec efficacité et efficience aux besoins de développement de notre pays en termes de capital humain, et d’accélérer son insertion dans la société et l’économie du savoir, conformément aux Hautes Orientations de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’Assiste.

Ce pacte, qui a été co-construit avec l’ensemble des parties prenantes à l’échelle des douze régions du Royaume et avec les compétences marocaines à l’étranger, vise à aligner l’écosystème universitaire marocain sur le modèle international de l’université, et à le rendre apte à anticiper les multiples transformations qui se dessinent à l’horizon.

La nouvelle dynamique à l’œuvre vise aussi à réhabiliter la mission régalienne de l’université, comme socle de production de la science et du savoir, et à valoriser davantage son rôle d’éclaireur quant aux mutations d’ordre sociétal.

Et ce, à travers la régénération d’un vivier de scientifiques, d’intellectuels, d’économistes, de sociologues et de juristes de haut niveau, en mesure d’apporter des réflexions innovantes dans leurs domaines de spécialisation, tout en contribuant au rayonnement du Maroc à l’échelle internationale.

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Quels sont les chantiers prioritaires de réforme déployés dans le cadre du Pacte ESRI 2030 ?

Plusieurs chantiers prioritaires ont été amorcés, en perspective de leur déploiement opérationnel dès la rentrée universitaire 2023-2024, dont l’élaboration des nouveaux CNPN du Cycle Licence, fruit d’une large consultation avec les acteurs de l’écosystème universitaire (présidents, doyens, chefs de départements…).

Ces CNPN englobent plusieurs nouveautés. D’une part, la révision profonde des filières de formation pour les rendre en phase avec les attentes des territoires et du monde socio-économique en termes de capital humain. D’autre part, l’instauration du système de crédits pour favoriser la capitalisation des acquis et donner la possibilité aux étudiants de réorienter leurs parcours de formation.

Parmi ces nouveautés, nous comptons également sur la diversification des modes d’enseignement, en privilégiant le mode hybride, consolidant le présentiel par le travail personnel sur des plateformes digitales et par des ressources scénarisées.

Le PACTE ESRI-2030 met en avant la consécration de l’ouverture de l’université marocaine sur son environnement, avec l’institutionnalisation des programmes de mobilité nationale et internationale comme partie intégrante du parcours académique des étudiants.

En matière de recherche scientifique, axe central de la dynamique portée par le PACTE ESRI-2030, le Ministère a procédé à l’élaboration des Normes Scientifiques et Pédagogiques Nationales (NSPN) du Cycle Doctoral.

Ces normes permettent, entre autres, de délimiter les étapes du cycle doctoral, de définir les conditions concernant la publication scientifique des doctorants et celles afférant à la soutenance des thèses, avec un accent particulier sur la qualité des dossiers scientifiques des membres du jury de thèse.

Les NSPN du cycle doctoral constitueront le référentiel sur la base duquel sera lancé le programme de formation d’une nouvelle génération de doctorants-moniteurs, qui bénéficieront d’encadrement en mode co-direction/co-tutelle avec des universités internationales.

Et ce, tout en étant imprégnés des innovations pédagogiques pour assurer des missions d’enseignement à des fins de préparation de la relève, au vu du départ attendu à la retraite dans les années à venir d’une partie non négligeable du corps professoral.

Il faut noter que le Ministère s’est attelé à l’opérationnalisation des conventions-cadres conclues avec certains départements ministériels (santé, éducation nationale, solidarité, transition numérique) et opérateurs économiques (AMICA, GIMAS) pour accompagner les besoins des stratégies sectorielles en termes de ressources humaines qualifiées. Les engagements globaux en termes de lauréats à former ont été déclinés à l’échelle régionale, à travers la mise à contribution de chaque université à l’effort national de formation.

Au-delà des compétences techniques et académiques actuellement dispensées au sein de ces filières, quels seraient les soft skills que le Maroc a besoin de renforcer afin de garantir la réussite de sa transition digitale ?

Le nouveau modèle pédagogique porté par le PACTE ESRI-2030 consacre une place de choix aux power skills, terme que je trouve plus adéquat que les soft skills, dans la mesure où ce dernier est un peu réducteur par rapport à la teneur des compétences dont il est question.

Si ces power skills ne sont pas spécifiques aux filières de formation dans le domaine du digital, ils acquièrent une importance particulière dans ce domaine à forte teneur technologique, et impactent la maximisation des retombées de la transition digitale.

Les composantes clés de ces power skills comportent notamment l’acquisition des compétences linguistiques, avec l’introduction, au cours de chaque semestre, d’un module dédié aux langues étrangères dont l’anglais. Nous connaissons tous l’importance de cette langue pour accéder à des gisements de connaissances techniques et conceptuelles en constante évolution.

D’autre part, ces power skills sont également axées sur le renforcement des capacités de leadership, de prise d’initiative et d’entrepreneuriat, afin de libérer le potentiel créatif des étudiants et le concrétiser en termes de projets innovants, créateurs de valeur ajoutée et d’emplois.

En ce sens, il est tout aussi crucial de développer des compétences transversales en rapport avec l’ancrage aux valeurs de la citoyenneté, la connaissance de l’histoire du Maroc et de ses affluents culturels et artistiques. Ces compétences constituent un additif important aux connaissances techniques, et permettent d’imprégner les étudiants des dimensions humaines et sociales qui constituent des enjeux importants de la transition digitale.

Le Pacte ESRI ambitionne de former annuellement plus de 50.000 lauréats dans le domaine du digital d’ici 2030. Que représente un tel objectif pour le marché du travail ?

Avant d’aborder le fond de cette question, je voudrais rappeler deux points essentiels qui reflètent le poids important de l’économie numérique et des compétences exigées, afin d’en saisir les opportunités. Rappelons-nous, d’abord, le pari d’avenir affiché par le NMD, visant à porter la part du secteur numérique à 5% du PIB à horizon 2035 contre près de 1% actuellement.

Ensuite, les tendances structurelles du marché de l’emploi laissent augurer une percée des métiers liés au digital au moment où plusieurs métiers classiques sont voués à disparaître graduellement. C’est ce qui ressort d’ailleurs du rapport 2023 du WEF « Future of Jobs », selon lequel les métiers liés à l’intelligence artificielle, à la robotique, à l’analyse des données ou encore à la cybersécurité, connaîtront une forte demande dans le sillage du développement accéléré des technologies digitales.

Le Maroc n’est pas en reste de ces tendances. Il doit les anticiper à travers une offre de formation en effectif et en qualité suffisante pour répondre aux besoins de la transition digitale de son tissu productif.

À présent, on forme annuellement autour de 8700 profils IT dans les établissements d’enseignement supérieur marocains (toutes catégories confondues), ce qui demeure bien en deçà des besoins actuels et futurs de l’économie nationale, d’autant plus que cette situation se trouve aggravée par l’exode des compétences digitales vers l’étranger.

En partenariat avec le département ministériel chargé de la Transition Numérique, nous avons défini l’objectif ambitieux de relever substantiellement le nombre de lauréats formés annuellement dans ce domaine, pour le porter à 22.000 lauréats à horizon 2026 et à 50.000 lauréats à horizon 2030.

C’est une ambition réaliste et faisable, étroitement alignée aux besoins actuels du marché et au potentiel de développement futur de notre économie. En termes de déploiement opérationnel, les actions en cours de réalisation comprennent l’élaboration des cursus de formation pour divers diplômes dans le domaine du digital (DUT, Licence, Master, Ingénieur).

“Les métiers liés à l’intelligence artificielle, à la robotique, à l’analyse des données ou encore à la cybersécurité, connaîtraient une forte demande dans le sillage du développement accéléré des technologies digitales”, prévoit le ministre.Crédit: Patrick T. Fallon / AFP

Quelle place occupent les partenariats entre établissements publics et privés (PPP) dans ce processus de dynamisation du secteur de l’enseignement supérieur ?

Le Partenariat Public-Privé (PPP) contribue positivement au renforcement de l’offre de formation dans le domaine de l’enseignement supérieur. Cinq universités ont été créées selon le modèle PPP, offrant des formations d’excellence dans des domaines de développement prioritaires pour notre pays tels que la médecine, l’ingénierie et le management.

Ces universités jouent un rôle complémentaire aux universités publiques et contribuent ainsi à élargir le nombre de places pédagogiques offertes dans les domaines précités, qui connaissent une demande sans cesse croissante.

“La promotion du modèle Partenariat Public-Privé (PPP) ne signifie nullement une tendance à la privatisation de l’enseignement supérieur. Les universités PPP sont à but non lucratif et assument en partie une mission d’inclusion sociale”

Abdellatif Miraoui

À titre d’exemple, sur les 17.534 étudiants inscrits dans les universités PPP, 7686 évoluent dans le domaine des sciences de la santé. Le modèle de PPP ne se limite pas uniquement à l’offre de formation, il couvre des domaines aussi importants comme le logement universitaire, dans lequel des conventions cadres sont conclues entre le MESRI et des acteurs privés pour la construction de résidences universitaires surtout dans les villes connaissant un déficit important en la matière.

Bien entendu, la promotion du modèle PPP ne signifie nullement une tendance vers la privatisation de l’enseignement supérieur ou des services s’y rattachant. Les universités PPP sont à but non lucratif et assument en partie une mission d’inclusion sociale, du moment qu’elles octroient des bourses au profit des étudiants méritants et issus de milieux défavorisés.

Quels dispositifs peuvent être mis en place afin de renforcer l’attractivité des filières relatives à l’innovation digitale et technologique aux yeux des jeunes bacheliers ?

Renforcer l’attractivité des filières de formation, en général, et celles portant sur l’innovation digitale et technologique en particulier, soulève d’emblée la question centrale du système d’orientation. Celui-ci joue un rôle décisif en matière d’accompagnement des étudiants à définir des choix qui répondent le plus à leurs aspirations, en tenant compte, bien évidemment, de leurs capacités et aptitudes.

Conscient de l’importance du digital pour favoriser la transformation structurelle du système productif national et des gisements d’emplois qui se profilent dans ce domaine, le ministère a mis un accent particulier sur la promotion des filières de formation dans le domaine du digital.

Et ce, à travers l’intégration des modules de Digital Skills, omniprésents en S2 et S5 dans l’ensemble des parcours de licence nouvelle génération au sein des établissements à accès ouvert. Nous travaillons également au montage de parcours consacrés à l’intelligence artificielle (DUT, Licence, Masters …), ainsi qu’à la généralisation des modules qui traitent de l’IA à l’échelle de toutes les filières, et à l’encouragement des thématiques abordant l’IA au niveau des thèses de doctorat.

Le renforcement de l’attractivité de ces filières d’avenir requiert aussi un effort de communication important de la part des universités, afin de faire connaître les opportunités dont relèvent ces filières en termes de perspectives de carrières, en prenant appui sur divers canaux de communication : masses médias, réseaux sociaux…

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