Les sénateurs ont appelé jeudi le gouvernement à « suspendre TikTok en France et (à) demander sa suspension au sein de l’Union européenne », si le réseau social ne clarifie pas avant le 1er janvier 2024 la nature de ses liens avec les autorités chinoises et ne met pas en place une modération « efficace » et un « contrôle effectif de l’âge ».
Les vidéos véhiculées par l’application « pourraient être biaisées au profit d’autorités chinoises soucieuses d’alimenter des troubles susceptibles d’affaiblir l’image de la démocratie », établit la commission dans son rapport, alors que les réseaux sociaux sont accusés d’avoir participé à l’emballement des récentes violences urbaines en France.
« Le gouvernement est très attentif aux recommandations qui sont formulées, en particulier sur la protection des mineurs », a réagi sur Twitter la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance Charlotte Caubel, qui approuve notamment l’idée de bloquer l’application après une heure d’utilisation pour les mineurs.
« Nous sommes en profond désaccord avec les conclusions de ce rapport, qui ne reflète pas fidèlement les faits », a rétorqué le réseau social à l’AFP. « Il est décevant que la Commission ait consacré autant de temps et de ressources pour remettre en avant toujours les mêmes perceptions erronées », a-t-il ajouté.
Lors d’une conférence de presse, André Gattolin (majorité présidentielle), vice-président de la commission, a fait part de « son doute complet sur la viabilité du modèle économique de TikTok, qui laisse penser que ce n’est pas une entreprise économique mais une entreprise politique avec vocation à capter les données personnelles ».
Suivant les vœux de l’exécutif qui a envisagé cette semaine de « suspendre des fonctionnalités » sur les réseaux sociaux en cas de nouvelles émeutes, les parlementaires recommandent « une modération a priori en cas de graves troubles à l’ordre public » et la possibilité pour les autorités « de retirer ou bloquer l’accès » à certains contenus.
Le rapporteur Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants-République et Territoires, est partisan d’une ligne dure envers ces réseaux dont il pointe fréquemment les dérives.
Plusieurs recommandations – qui pourraient faire l’objet de propositions de loi dès la rentrée – ne concernent d’ailleurs pas seulement TikTok mais incluent ses concurrents américains.
M. Malhuret a toutefois insisté sur la forte dépendance de TikTok à sa maison mère ByteDance, une société installée aux îles Caïmans « pour des raisons d’opacité » mais détenue et contrôlée par des actionnaires chinois, un pays où la loi oblige les sociétés locales et les habitants à dévoiler les données stockées sur leurs serveurs si l’Etat le leur demande.
Début juin, la commission avait bombardé de questions deux dirigeants de TikTok en France à ce sujet, sans obtenir davantage que des démentis et des réponses vagues.
TikTok a notamment été accusé d’avoir espionné et géolocalisé à distance des journalistes, transféré des données d’utilisateurs vers la Chine et pris des mesures de censure au bénéfice de la Chine ou de ses alliés, notamment la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine.
L’application inquiète en raison de son caractère « addictif » (les 4-18 ans y passent en moyenne 1h47 chaque jour) et de sa politique de modération jugée trop laxiste, notamment sur la désinformation.
Invoquant les risques en matière de cybersécurité, ces parlementaires souhaitent aussi élargir l’interdiction de l’application en France – aujourd’hui aux seuls fonctionnaires d’Etat – à tous les personnels des opérateurs publics ou privés « d’importance vitale ».
Enfin, ils exigent « la négociation d’un accord équitable » avec la société des auteurs contre le piratage audiovisuel et une rémunération plus juste des éditeurs des musiques utilisées sur la plateforme.
Le réseau, utilisé chaque mois par environ 150 millions d’Américains et le même nombre d’Européens, revendique une « séparation totale » avec ses entités en Chine mais est confronté à des limitations croissantes en Occident.