Tunnel entre l’Espagne et le Maroc : le serpent de mer finira-t-il par voir le jour ?

Dans les limbes depuis des années, le projet de tunnel entre l’Espagne et le Maroc vient d’être officiellement remis sur les rails par Madrid et Rabat.

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1 000 vaisseaux de l'Otan surveillent le détroit de Gibraltar. Crédit: AFP
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Ce dossier fait partie des sujets évoqués par les deux pays, désireux d’intensifier leur partenariat, lors de leur sommet bilatéral de la semaine passée au Maroc. Mais les obstacles restent nombreux et rendent son avenir plus qu’incertain.

Lancé en 1979 par le roi du Maroc Hassan II et son homologue espagnol Juan Carlos Ier, ce projet de tunnel sous la Méditerranée vise à relier l’Afrique et l’Europe par le train, en passant sous le détroit de Gibraltar.

Deux sociétés d’État, l’une marocaine (Sned) et l’autre espagnole (Secegsa), coiffées par un comité mixte, ont été mises sur pied pour étudier sa faisabilité, ce qui a donné lieu à de nombreux forages, études et essais depuis 40 ans.

“Un catalyseur pour l’économie européenne et africaine”

Après avoir envisagé plusieurs alternatives, ces sociétés ont opté à la fin des années 1990 pour un tunnel foré sous la mer, à l’instar du tunnel sous la Manche, ayant pour points d’entrée et de sortie Malabata, dans la baie de Tanger (Maroc), et Punta Paloma, près de Tarifa (Espagne).

Cet ouvrage, considéré comme l’un des plus ambitieux au monde, serait composé de deux tunnels ferroviaires et d’une galerie de services et de secours. Il aurait une longueur de 38,5 kilomètres, dont 28 sous la mer, et une profondeur maximum de 475 mètres.

En reliant les réseaux ferroviaires des deux pays, il fonctionnerait comme “un catalyseur pour l’économie européenne et africaine”, assure à l’AFP Claudio Olalla, ingénieur et professeur émérite à l’Université polytechnique de Madrid, qui a un temps travaillé sur ce projet.

Selon la Secegsa, cette infrastructure permettrait à moyen terme le transit de plus de 13 millions de tonnes de marchandises et 12,8 millions de passagers par an, ce qui “pourrait contribuer grandement au développement économique” de l’ouest de la Méditerranée.

L’Espagne est en effet le premier partenaire commercial du Maroc — qui exporte une grande partie de sa production, notamment agricole, vers l’UE. Mais le détroit de Gibraltar, où passent 100.000 navires par an, est déjà engorgé, ce qui contraint le transit de marchandises entre les deux pays.

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Le projet s’était enlisé ces dernières années, en raison de coupes budgétaires en Espagne après la crise financière de 2008, et d’une succession de brouilles diplomatiques entre Madrid et Rabat.

Mais ces relations se sont normalisées depuis que Madrid a accepté l’an dernier d’appuyer les positions marocaines sur le Sahara. Ce qui a conduit les deux pays à relancer plusieurs sujets bilatéraux.

Une enveloppe a ainsi été débloquée dans le budget espagnol en 2023 pour financer une nouvelle étude “nécessaire” au “lancement du processus de construction”. Et la remise en route du projet a été abordée par les deux pays lors de leur sommet bilatéral à Rabat le 2 février.

“Pas demain la veille”

Nous allons donner un coup d’accélérateur aux études” sur ce “projet stratégique”, a ainsi déclaré dans un communiqué la ministre espagnole des Transports Raquel Sanchez, en annonçant la reprise des réunions du comité regroupant la Sned et la Secegsa.

Le principal problème est d’ordre technique : le détroit de Gibraltar, situé à la limite des plaques tectoniques européenne et africaine, est une zone géologique complexe, avec des portions argileuses instables et de violents courants marins.

“Techniquement, les obstacles ne sont pas insurmontables, mais la question se pose de sa viabilité économique”

Claudio Olalla, ingénieur

La qualité des sols est très médiocre. Rien à voir avec la roche calcaire qu’on trouve sous la Manche”, souligne Claudio Olalla, pour qui “les conditions techniques sont très défavorables, bien plus que pour n’importe quel autre tunnel” dans le monde.

Une situation susceptible de peser lourdement sur les coûts — jamais chiffrés avec précision. “Techniquement, les obstacles ne sont pas insurmontables, mais la question se pose de sa viabilité économique”, ajoute le chercheur.

À ces problèmes s’ajoutent des freins politiques, liés à l’instabilité cyclique des relations entre Madrid et Rabat et aux potentielles réticences européennes pouvant craindre un appel d’air migratoire — à tort, selon les promoteurs du projet.

De quoi rendre peu probable son lancement à court ou moyen terme. “Je pense qu’il finira par voir le jour, mais pas demain la veille”, juge Claudio Olalla.

(avec AFP)