Une liste de 57 magistrats a été publiée dans la nuit du 2 juin, au Journal officiel dans un décret justifiant leur révocation pour « dissimulation d’affaires terroristes », « corruption », « harcèlement sexuel », « collusion » avec des partis politiques et « perturbation du fonctionnement de la justice ». L’objectif du président tunisien est de « purifier » le pouvoir judiciaire. « Le devoir sacré nous motive à prendre cette décision historique de préserver la paix sociale et l’État », a déclaré Saied lors de la dernière session du Conseil des ministres.
Le président Saied avait auparavant annoncé « une décision historique », à l’issue d’un Conseil des ministres mercredi soir. Parmi les magistrats limogés qui pourront faire l’objet de poursuites, on trouve un ancien porte-parole du pôle de lutte contre le terrorisme, un ancien directeur général des douanes et l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Les révocations concernent aussi des magistrats soupçonnés d’avoir entravé l’enquête sur les assassinats en 2013 de deux dirigeants de gauche, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, imputés à des jihadistes.
M. Saied a amendé la loi qui régit le CSM, autorité de tutelle de la justice tunisienne, pour pouvoir les révoquer, invoquant une « atteinte à la sécurité publique ou à l’intérêt suprême du pays ». Le décret lui permet de limoger « tout magistrat en raison d’un fait qui lui est imputé de nature à compromettre la réputation du pouvoir judiciaire, son indépendance ou son bon fonctionnement ».
Ces révocations sont basées « sur de simples soupçons sans décision judiciaire », a dénoncé le Front de salut national, une coalition d’une dizaine d’organisations d’opposants, dont le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de Kais Saied. « C’est un règlement de compte contre les magistrats » qui sont « contre le coup de force de M. Saied », a ajouté devant la presse Ghazi Chaouachi, président du Courant démocrate.
Une descente aux enfers
Son parti et quatre autres, dont le Parti des Travailleurs de Hamma Hammami, opposant farouche du régime de l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali, ont annoncé jeudi leur boycott d’un référendum « imposé » par M. Saied.
Les Etats-Unis ont aussi déploré une « série alarmante de mesures qui sapent les institutions démocratiques indépendantes de la Tunisie ». « Nous continuons à exhorter le gouvernement tunisien à entreprendre des réformes de manière inclusive et transparente, avec l’apport de la société civile des diverses tendances politiques, pour renforcer la légitimité du processus », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price à Washington.
En février, Kais Saied avait dissous le CSM avant de le rétablir à titre provisoire, en changeant la composition. Il s’agit d’un organe constitutionnel indépendant, établi en 2016, dont les membres sont élus en majorité par le Parlement. Depuis la Révolution de 2011, qui a renversé Ben Ali, cette assemblée a été dominée par des coalitions menées par Ennahdha.
M. Saied a également modifié récemment la composition de l’autorité électorale (Isie) qui supervise les élections en Tunisie.
Un « coup d’Etat »
Depuis le 25 juillet 2021, assurant agir dans l’intérêt du pays, Kais Saied concentre tous les pouvoirs et dirige la Tunisie par décrets-lois, faisant craindre une dérive autocratique dans le berceau des Printemps arabes.
Pour sortir de l’impasse provoquée par son coup de force, qualifié de « coup d’Etat » par ses opposants, le président a proposé une feuille de route qui prévoit un référendum sur la Constitution le 25 juillet et des législatives anticipées le 17 décembre.
Outre la crise politique, la Tunisie est en proie à de graves difficultés économiques. Surendetté, le pays tente d’obtenir un nouveau prêt du Fonds monétaire international d’au moins quatre milliards de dollars.
(avec AFP)