Le Boualem, la cyberattaque de la CNSS et le “génie collectif” marocain

Par Réda Allali

Il ne vous aura pas échappé, cher lecteur, qu’une authentique catastrophe numérique nous est tombée sur la tête il y a deux semaines. Notre paisible contrée, en effet, a été victime d’une attaque cybernétique qui a précipité dans l’espace public une masse formidable de données confidentielles. Si Zakaria Boualem n’en a pas parlé plus tôt, c’est qu’il a opéré une sorte de déni à la lecture des émoluments de certains de ses confrères.

Il a vite découvert, le bougre, qu’il était horriblement sous-payé, puis il s’est dit que ce n’était pas très grave, puisqu’il était tout aussi sous-employé. Contrairement à ses collègues de bureau, qui ont déployé une énergie considérable à farfouiller dans les finances de tout le monde, il a eu la sagesse de ne pas plonger dans cette activité démoniaque.

Si Zakaria Boualem n’a pas évoqué plus tôt la fameuse attaque cybernétique, c’est qu’il a opéré une sorte de déni à la lecture des émoluments de certains de ses confrères. Le problème ? Nos dirigeants ont développé exactement le même réflexe

Réda Allali

Il a donc fait comme si rien ne s’était passé, exerçant ainsi son droit le plus absolu, connu chez nous sous le nom de “l’œil de plastique”, celui qui nous retient de devenir tous fous. Il a en effet développé, avec le temps, cette étonnante capacité à ne pas voir ce qu’il ne veut pas voir. C’est d’ailleurs une nouvelle manifestation éclatante de ce réflexe de l’espèce humaine à s’adapter à son environnement. Mais le problème, c’est que nos dirigeants, que Dieu leur vienne en aide, ont développé exactement le même réflexe qu’un simple Boualem.

C’est ainsi que nous n’avons eu droit à aucune espèce d’explication sur ce spectaculaire plantage, telle est l’amère réalité. Personne n’a pris le soin de nous expliquer ce qui s’était passé, pourquoi, et ce qu’on envisageait de faire pour éviter que cela ne se reproduise, ce genre de choses. Ne parlons même pas de rendre des comptes, évidemment, puisqu’ils ne nous doivent rien, bien entendu.

Cela ne date pas d’hier, puisqu’il paraît qu’un de nos plus glorieux vizirs du 19e siècle avait résumé sa philosophie politique en ces termes : “Ô combien de problèmes avons-nous réglés en ne faisant rien !” Zakaria Boualem vous laisse chercher la phrase originelle, elle est sublime. Il vous livre une traduction imparfaite, bien entendu, car dans la version du ministre, il ne s’agit pas seulement de ne rien faire, mais d’appliquer à l’urgence un traitement à base d’un mélange d’abandon, d’indifférence et de dédain qui aboutit à la désespérer.

Les Italiens, eux, disent “tutto passa”, et c’est une maxime moins simplette qu’il n’y paraît. Ne rien faire, laisser couler, donc, c’est non seulement facile mais efficace. Juste une petite précision pour signaler qu’il s’est toutefois trouvé quelqu’un pour pondre un communiqué de menaces qui disait à la fois que les données étaient fausses mais que ceux qui les partageaient risquent gros. Passons.

“Au moment où le Maroc convulsait sous l’ampleur du désastre, la CNSS publiait sur ses réseaux sociaux un message pour sensibiliser les internautes aux dangers de la tension artérielle: n’y a-t-il pas, chez nous, une forme de génie collectif ? ”

Réda Allali

Mais dans notre cas, nos dirigeants ont fait encore mieux, et c’est là qu’il faut s’asseoir pour lire la suite, car nous allons basculer dans le burlesque, sauf votre respect. Imaginez un peu qu’au moment où le Maroc convulsait sous l’ampleur du désastre, l’organisme responsable publiait sur ses réseaux sociaux un message pour sensibiliser les internautes aux dangers de la tension artérielle, avec une charmante dame en blouse qui nous conseillait d’éviter le café, le sel et les sources de stress.

Osons poser la question : n’y a-t-il pas, chez nous, une forme de génie collectif ? Il est peut-être involontaire, mais il nous permet de produire ce type délire en toute décontraction, et de passer au sujet suivant sans plus de formalité. Parce que, c’est désormais ainsi, rien ne déclenche plus rien en nous, et c’est tout pour la semaine, merci.

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