Une rupture de doctrine déguisée en rééquilibrage
La décision américaine, sous couvert de réciprocité, traduit une rupture avec les principes fondamentaux du multilatéralisme commercial. Elle acte le retour d’un unilatéralisme où la puissance définit seule les règles. Alliés ou pas, excédent commercial ou pas, tous sont mis à contribution. Même les accords de libre-échange n’échappent plus à cette logique révisionniste.
Signataire d’un accord bilatéral avec Washington depuis 2006, le Maroc se voit appliquer un tarif de 10 %. Un taux modéré, si on le compare aux surtaxes infligées à la Tunisie (28%), et l’Algérie (30 %). Mais cette “bienveillance” est-elle durable, ou temporaire ? Est-elle liée au faible volume des exportations marocaines vers les États-Unis (moins de 4 %), ou à son statut d’allié stratégique ?
Le libre-échange, un outil, pas une finalité
Le Maroc n’a jamais abordé le libre-échange comme une fin en soi, mais comme un outil de modernisation. Il ne s’est pas engagé dans cette voie par mimétisme, mais par conviction qu’une économie ouverte, régulée et accompagnée, peut accélérer sa transformation structurelle. Ses accords – avec les États-Unis, l’UE, la Turquie ou dans le cadre africain – s’inscrivent dans une logique d’intégration proactive.

Ce positionnement est aussi politique, avec une volonté de cohérence entre la politique intérieure du pays et sa projection internationale. Le Maroc fait du climat des affaires, de la soutenabilité environnementale, de l’innovation industrielle et des Objectifs de développement durable (ODD) des piliers d’un développement endogène. Le commerce est un levier, pas une finalité. L’ouverture n’est pas un renoncement à la souveraineté : elle en est la condition moderne.
Rester solide quand les marchés vacillent
Face au choc provoqué par Trump, les marchés vacillent. Les investisseurs ont réagi avec confusion, les partenaires traditionnels restent dans l’expectative.
Dans ce contexte, le Maroc se distingue par sa posture de lucidité stratégique. Il ne conteste pas le principe de réciprocité en soi. Il interroge son application mécanique, son manque de différenciation, son décalage avec les logiques de partenariat. Le Royaume défend ses intérêts avec fermeté, mais sans ruptures. Il reste ouvert au dialogue, attentif à l’évolution des rapports de force, mais déterminé à ne pas subir passivement les décisions imposées.
Faire de l’incertitude un levier
Cette tribune est un appel. À capitaliser sur ce moment de flottement pour renforcer la doctrine commerciale marocaine. Pas en réaction aux turbulences américaines, mais en projection stratégique. En repensant nos accords sous l’angle de la résilience, de la montée en gamme, de la souveraineté maîtrisée. Faire de nos choix économiques des instruments de diplomatie proactive.
“Il ne s’agit pas de se positionner contre l’Amérique, ni de faire du Maroc un chantre du libre-échange (…) mais de rappeler que le Maroc est un partenaire, pas un client. Un allié stratégique, mais souverain“
Il ne s’agit pas de se positionner contre l’Amérique, ni de faire du Maroc un chantre du libre-échange. Mais de rappeler que notre ouverture repose sur des principes, sur une volonté nationale de transformation, et non sur une dépendance. Que le Maroc est un partenaire, pas un client. Un acteur, pas un pion. Un allié stratégique, mais souverain.
Les décideurs marocains ont une carte à jouer. Avec intelligence, dans le sens de l’histoire que nous voulons écrire.