Un nouvel épisode de notre vie politique trépidante s’est joué la semaine dernière, cher lecteur, et il fait l’objet ici même d’un compte rendu des plus scrupuleux. Comme souvent quand un morceau de sincérité et de contestation s’invite sur la place publique, il s’agit de foot. Vous le savez, notre brave Botola se meurt, le Boualem vous a déjà décrit ce naufrage.
En résumé, les responsables de notre ballon rond ont mis le paquet sur l’international, avec des sélections glorieuses et des compétitions nombreuses, au mépris du championnat local, malmené par les margoulins, la programmation chaotique, l’arbitrage folklorique, et les stades plus souvent fermés qu’ouverts. Tout cela, vous le savez, car il en a été régulièrement question dans cette page pleine d’enseignements. Le supporter de club marocain est maltraité, voilà comment on peut dire les choses poliment, et il peut même, sans basculer dans la parano, imaginer qu’il pourrait cesser d’exister sans que personne ne le regrette, du côté de ceux qui sont censés s’occuper de lui.
Parmi ces supporters maltraités, certains s’estiment encore plus lésés que les autres : les Casablancais. Pas de nouveaux stades, au moment où Rabat en compte quatre, un rôle de figuration pour la prochaine CAN et une exclusion totale de la Coupe du Monde, même si on leur explique que Benslimane est à Casa.
Ces gens, donc, pensent que leur ville, place forte du foot populaire, est méprisée, et leurs arguments tiennent debout. Or, il se trouve que ces mêmes responsables du ballon rond ont besoin des ultras casablancais, très précisément deux fois par an, pendant le derby. Cette fête populaire, en effet, tire une grande partie de son intérêt dans les tifos de ces groupes de supporters, de leurs animations, chants et autres performances dont le niveau est, de l’avis général, mondial.
Et voilà que l’impensable se produit : les rivaux se mettent d’accord pour boycotter le derby. L’union impossible, ce cauchemar des autorités, est réalisée, et merci. Devant cette sinistre perspective, la panique s’installe, et on voit alors les plus brillants porte-parole du système foot venir menacer ces braves gens en martelant qu’ils sont des traîtres à la nation s’ils maintiennent leur boycott…
“Cette semaine, l’impensable s’est produit : les ultras casablancais ont boycotté le derby. On a vu les plus brillants porte-parole du système foot menacer ces braves gens… Après avoir vidé les stades pendant des années, ils veulent soudain les remplir ”
On connaît la chanson. Autrement dit, après avoir vidé les stades pendant des années, ils veulent, soudain, les remplir, y compris par les menaces. Zakaria Boualem, grand observateur de l’activité marocaine, sait que cette injonction aussi ridicule que classique ne pouvait que convaincre les hésitants de rester chez eux, et voilà comment on s’est retrouvé avec un stade qui sonnait creux samedi dernier.
Voilà le résumé, le plus factuel possible, de l’affaire qui a secoué Casa la semaine dernière, et voici maintenant les conclusions du Boualem, sans plus attendre. La première, c’est qu’il est impossible de projeter vers des Marocains autant de mépris sans que jamais ils ne réagissent. Il faut se féliciter que cette réaction ait été pacifique et prendre en compte ces protestations, voilà ce que la sagesse dicte.
La seconde conclusion est drôle, en vérité, puisque le Guercifi, qui a dûment acheté son billet électronique pour entrer au stade, s’est vu refouler, tel un vil resquilleur, parce que “ça ne marche pas”. Il a été sommé d’imprimer le sésame, conçu à la base pour, justement, éviter le papier, mais là encore, on lui répond que “ça ne marche pas”. Il a fini par entrer, dans des conditions qu’il préfère garder pour lui, en se demandant comment on allait faire pendant la Coupe du Monde, et merci.