Zakaria Boualem, pour une raison qui ne regarde que lui, a passé son dimanche matin au bord d’un terrain de football. Très loin des nobles joutes qui opposent des professionnels aguerris, il s’est retrouvé, en cette matinée pluvieuse, devant un match entre des gamins de moins de 13 ans sur un terrain de quartier, synthétique. A peine arrivé, il a eu envie de féliciter tout le monde. Il a découvert des joueurs correctement équipés, des maillots flamboyants, des ballons de qualité, des crampons multicolores, des filets aux buts, c’était très beau.
De son temps, quand il jouait au foot dans sa bonne ville de Guercif, c’était sur une aire de jeu dotée d’un sévère dénivelé. Le terrain avait été tracé perpendiculairement à cette pente, afin de n’avantager personne, une décision qui permettait au passage le une-deux avec la gravité. La surface de l’aire de jeu en question était ce qu’on appelle chez nous “el himri”, dont il suffit de préciser qu’on est incapable d’en proposer une traduction fidèle pour comprendre le type de revêtement dont il est question.
“Assistant à une rencontre du championnat local des gamins casablancais, le Boualem a d’abord été saisi d’une émotion intense. Mais après quelques minutes de jeu… les remplaçants, puis les parents s’invitent à ce qui est devenu un concours de braillements et la grande pagaille commence”
Passons et revenons à ce dimanche, donc. Quand il a appris qu’il assistait à une rencontre du championnat local des gamins casablancais, le Boualem a été saisi d’une émotion intense. Imaginer qu’on a réussi à construire tous ces terrains, à monter cette compétition et à occuper cette masse de gosses de tous horizons, c’est une chose magnifique. Depuis des décennies, il milite pour le foot amateur et scolaire, grand accélérateur de mixité sociale, de lien, de bien-être collectif… Je ne vais pas vous faire la liste des bienfaits, le temps presse.
Hélas, le match commence et le drame s’invite dans la chronique. Après quelques minutes de jeu à peine, une tension parfaitement incompatible avec les enjeux de la rencontre s’installe autour du terrain. Chaque perte de balle donne lieu à une simulation ridicule et aux hululements indignés d’un banc de touche, aussitôt contré par les gémissements opposés des autres…
Bientôt, les remplaçants, puis les parents s’invitent à ce qui est devenu un concours de braillements et la grande pagaille commence. Devant autant de mauvaise foi, le Boualem est consterné. Par quel mystère des parents respectables, des coachs en pleine maturité se mettent-ils à insulter la généalogie d’un arbitre pour obtenir l’annulation d’un but qui, en plus d’être valable, il faut bien le dire, ne change absolument rien à leur destinée ? Comment des éducateurs acceptent-ils d’offrir aux gosses de leur quartier le spectacle grotesque d’une perte de contrôle aussi manifeste ?
Au milieu de ce chaos, un arbitre, très beau, cintré dans une tenue officielle, dégoulinant de prestige. Zakaria Boualem voudrait bien le présenter comme un héros, un homme que la passion a égaré au milieu des gnous, livré à la vindicte populaire, sans protection, mais ce serait inexact. Ce type, Dieu seul sait pourquoi, a décidé dès le début du match de se mettre à énerver tout le monde, même ceux qui ne l’étaient pas déjà. Théâtral, en petite foulée, il distribue des cartons jaunes, rouges, des instructions ridicules, des injonctions vexantes, il est, donc, lui aussi un acteur du chaos.
Le match s’achève dans la confusion, interrompu sur un score inconnu, avec tous les adultes sur le terrain et les gosses sur la touche, qui taquinent le ballon en attendant de savoir s’ils vont reprendre. En conclusion, si vous voulez avoir une idée de l’état de nerfs dans lequel est plongé notre paisible contrée, promenez-vous simplement le dimanche matin, il y a des terrains partout, installez-vous et regardez. Et merci.