Nos coups de coeur de la rentrée littéraire : “La nuit de David” d'Abigail Assor

Du côté de l’édition française et francophone, c’est une rentrée littéraire riche en nouveautés qui s’annonce. Le second roman d’Abigail Assor, “La nuit de David”, fait partie de nos coups de coeur.

Par

F-Mantovani/Gallimard

Des jumeaux sur les rails

Le deuxième roman d’Abigail Assor est le récit d’une seule nuit d’enfance, mais aussi de toutes les années qui l’ont précédée. La nuit de David (Gallimard, 2024) porte en lui la lumière et la souffrance de deux jumeaux, Olive et David, séparés par un monde d’adultes qui n’a pas su les comprendre.

C’est dans une maison familiale située dans le Loiret – mais qui pourrait se trouver n’importe où dans le monde, tant qu’il s’agit d’une ville dotée d’une gare, car des jumeaux qui s’aiment et un petit garçon émerveillé par les trains, il y en a partout – que sont nés Olive et David. L’une est rousse, comme sa mère. L’autre a les cheveux noirs et bouclés, comme personne.

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David aime les trains, les salamandres et escalader des grilles. Olive n’a pas besoin d’aimer des choses, car tout le monde l’aime, elle. David se cogne partout, se fait mal à lui et parfois aux autres. Olive est sage. Les deux enfants partagent une chambre, et la nuit, quand tout le monde dort et que leur petite voix échappe à la surveillance étroite de leur mère, David raconte à Olive qu’un jour il deviendra un train.

La nuit de David aurait pu être un mauvais roman

La nuit de David aurait pu être un mauvais roman. D’abord, parce que peu d’auteurs savent manier les complexités d’un récit narré à hauteur d’enfant sans tomber dans l’écueil d’une langue rébarbative, dénuée de profondeur et de vocabulaire.

Ensuite, parce qu’il ne s’y passe pas grand-chose : une narratrice, devenue adulte, replonge dans toutes les nuits qui ont précédé celle qui l’a définitivement arrachée à son enfance – la nuit où elle a voulu délivrer David.

Pourtant, ces quelque 170 pages pourraient presque se lire d’une traite. On y retrouve la poésie et la rigueur d’une plume qui détonnait déjà dans Aussi riche que le roi (Gallimard, 2021), le premier roman d’Abigail Assor. Celle-ci confirme sa capacité à relier des émotions les unes aux autres.

On y retrouve aussi de la cruauté : celle de l’enfance, pardonnable, mais aussi celle, qui l’est moins, des adultes. Il y a ainsi la cruauté d’une mère constamment attendrie par sa fille, mais qui en veut à son fils d’avoir “un diable en lui”.

Et puis cette phrase, déchirante car elle constitue la seule véritable arme d’un enfant de neuf ans qu’on assigne malgré lui à la violence et à la folie : “C’est pas grave, parce qu’un jour je deviendrais un train”. à quelques mètres du Loing, une rivière affluente de la Seine, nous sommes bien loin de l’ancrage casablancais et de la jeunesse dorée qui avaient servi d’arrière-plan au premier roman de l’autrice.

Ici, pas de trace du Maroc natal d’Abigail Assor, pas plus que de la société bourgeoise et de ses codes

Ici, pas de trace du Maroc natal d’Abigail Assor, pas plus que de la société bourgeoise et de ses codes. Dans cette maison de famille, la voix de la narratrice se heurte à des murs encombrés de souvenirs. Mais cette voix est peu fiable, car souvent, la violence qu’elle relate est balayée d’un revers de main : et si toutes ces scènes n’étaient que des rêves déformés ? Peu importe, se dit Olive, car il faut bien garder quelque chose de David.

Grandir, c’est aussi laisser derrière elle son jumeau et son monde fait de trains et de gares. Pour Olive, comme pour tous ceux qui s’apprêtent à entrer dans la folie de l’âge adulte, grandir c’est laisser une partie de soi derrière soi. Avec La nuit de David, Abigail Assor nous offre un sublime deuxième roman qui questionne l’étroitesse des liens de la gémellité.

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