C’était il y a exactement un an : un terrible séisme a frappé les régions du Haouz et de Taroudant, emportant dans son macabre sillage des milliers de morts et de blessés, rasant des douars, ravageant habitations et infrastructures. Pendant des semaines, tout le pays était suspendu aux nouvelles de sauvetage des survivants, tout en compatissant profondément au drame des habitants de ces régions sinistrées. Aux images tristes et douloureuses du désastre causé par le séisme, s’ajoutaient d’autres images plus réjouissantes et positives : celles de la générosité et du dévouement citoyen.
On a alors assisté à un énorme élan de solidarité entre Marocains, avec des scènes de milliers d’anonymes apportant leur soutien, matériel et moral, aux victimes (mais aussi des parasites surfant sur l’événement pour augmenter leur audience sur les réseaux sociaux). On a aussi vu un État solide, capable de se mobiliser rapidement en temps de crise, avec une verticalité du pouvoir permettant de déployer efficacement une administration publique, souvent accusée d’apathie et d’autres travers.
“À la dynamique enthousiasmante provoquée par le drame du Haouz s’est substituée la lenteur anesthésiante du quotidien administratif”
Mais une année après, selon les témoignages des populations locales relayés par les médias, les efforts de reconstruction sont à la traîne. Les habitants de nombreux villages sinistrés vivent encore sous des tentes ou dans des campements de fortune. Le provisoire est devenu la norme. À la dynamique enthousiasmante provoquée par le drame du Haouz s’est substituée la lenteur anesthésiante du quotidien administratif.
On retrouve probablement ici un trait caractéristique de notre culture administrative et publique : nous sommes de bons sprinteurs et de mauvais marathoniens. Ainsi, que survienne une crise, un coup de pression, l’État soulève littéralement des montagnes, fait preuve d’imagination, devient visible et rassurant, met en place en quelques mois des plans qui roupillaient depuis des années dans les tiroirs, et sort du néant des ponts et des routes. Mais dans les temps ordinaires, c’est un “État procrastinateur”, au rythme lent et à l’action erratique, empêtré dans les procédures et alourdi par de multiples considérations hiérarchiques.
“Que survienne une crise, un coup de pression, l’État soulève littéralement des montagnes, met en place des plans qui roupillaient depuis des années… Mais en temps ordinaire, c’est un “État procrastinateur”, au rythme lent et à l’action erratique”
La gestion du dossier de l’eau est un exemple qui étaye ce constat : on connaissait depuis des décennies le risque hydrique qui guettait le Maroc, et une stratégie nationale avait été élaborée il y a déjà quinze ans pour éviter au Maroc cette situation catastrophique. Cependant, ce n’est qu’en pleine crise que les énergies se sont libérées et que les chantiers nécessaires ont été concrètement lancés, avec la frénésie de l’urgence.
On peut évidemment expliquer cela par des éléments rationnels : la disponibilité des ressources budgétaires obligeant l’État à faire des arbitrages permanents selon les priorités du moment, l’hypertrophie de l’administration marocaine et sa forte centralisation, la faiblesse des élites locales, les petits calculs politiques, la corruption, les intérêts des différents lobbies…
Mais il y a également cette culture de “al hamla”, héritage de l’antique Makhzen, dans laquelle tout se gère par des campagnes rapides et massives, mobilisant la puissance de l’État pour réussir un objectif stratégique donné. Bon et foudroyant sur les dernières centaines de mètres, lent et indécis sur les longues distances.
La nature actuelle de la communication publique, au service de l’immédiat et de l’éphémère et indifférente à l’égard du long terme, accentue ce comportement et l’ancre davantage dans notre culture. Souhaitons que les échéances qui nous attendent (Coupe du Monde, réformes de la santé et de l’éducation, mise niveau de l’économie nationale…) soient menées avec le rythme des athlètes marocains qui nous ont toujours offert des médailles olympiques : cadence soutenue et rapide pendant des kilomètres, et accélération victorieuse au dernier virage !