Il semblerait que notre paisible contrée soit sur le point de réaliser une petite révolution, et ce dans la plus grande discrétion. Figurez-vous que le Boualem a appris, dans un média très sérieux, que nos braves hôteliers, grands gardiens de la morale publique devant l’éternel, étaient sur le point d’arrêter de demander des actes de mariage à tour de bras.
Entendons-nous bien, le Boualem est peu concerné par cette affaire : il a depuis longtemps fait le deuil du genre de projet louche dont il est question ici. Mais, au nom de l’intérêt public, il se doit de commenter cette information extraordinaire. Il ne lui a fallu que quelques clics, sur le même site respectable, pour apprendre que les femmes qui souhaitaient dormir dans un hôtel de leur ville de résidence étaient désormais autorisées à réaliser cette folie.
“Il était jusque-là admis que le réceptionniste d’un hôtel était une sorte de cerbère dont la mission principale était de se dresser entre les couples marocains et une possible fornication adultérine”
Ce sont donc deux monuments qui s’effondrent sous nos yeux, le mot n’est pas trop fort. Car il était jusque-là admis que le réceptionniste d’un hôtel était une sorte de cerbère dont la mission principale était de se dresser entre les couples marocains et une possible fornication adultérine. Notez bien que les étrangers, eux, étaient épargnés par de pareils tracas, comme un symbole de plus de notre hospitalité légendaire.
Ce qui a provoqué l’émerveillement du Guercifi, ce n’est pas la disparition de cette bizarrerie. Il sait bien, le bougre, que ce genre d’incongruité, un peu comme le certificat de vie, est voué à l’oubli, car tout défi contre la logique conduit au naufrage. Non, ce qui a provoqué l’admiration de notre héros, c’est la méthode choisie pour effacer cet usage. On aurait pu changer la loi, provoquer des débats infinis où auraient été convoqués la morale et la religion d’un côté, le pragmatisme et les libertés individuelles de l’autre.
Un de ces moments de convulsion collective qui ne mènent à rien de bon, avec en plus le sentiment pénible d’assister à une sorte de pièce de théâtre où les pécheurs se divisent en deux camps : ceux qui le font et ceux qui le disent. Mais le génie marocain a su éviter ce moment affreux. Sans débat, sans bruit, discrètement, on nous a expliqué que cette pratique était illégale, elle allait donc disparaître. Voilà. Comme ça. Rien de plus.
“C’est très beau, en vérité, de découvrir que quelque chose qui existe ne devrait pas exister, avant de décréter qu’il n’existe plus, sans toucher au moindre texte”
C’est une technique formidable, le stade ultime de la politique du soudain, alliée au culte du maintien de la cohésion sociale. C’est très beau, en vérité, de découvrir que quelque chose qui existe ne devrait pas exister, avant de décréter qu’il n’existe plus, sans toucher au moindre texte. Car il n’est pas difficile d’imaginer que si le Boualem, au temps de sa splendeur, avait eu l’étrange idée d’expliquer au cerbère que sa demande de 3a9d était illégale, il aurait eu du mal à le convaincre. Mais maintenant, tout le monde a découvert qu’il aurait eu raison, et merci.
Bien sûr, on trouvera toujours des gens pour s’indigner de cette nouveauté, à commencer par ceux qui pensent sincèrement que la mission d’un État est de contrôler la vie sexuelle de ses locataires, et que même si c’est impossible, y renoncer est une insupportable démission, le premier pas vers le décret officiel de la débauche. Oui, c’est bien eux qui ont été ménagés, avec cette entourloupe remarquable qui consiste à supprimer quelque chose sans le dire. Mais comment s’étonner de la nouvelle prouesse d’un peuple qui a inventé la notion surpuissante de ragued ? C’est tout pour la semaine, et merci.