Abdelouafi Laftit a tracé les contours d’une petite révolution. De passage au Parlement, le ministre de l’Intérieur a dévoilé les trois fondements d’un changement profond du secteur des transports urbains. Notre pays va acquérir 3500 bus en trois ans pour équiper 32 villes du royaume pour un montant de près de 10 milliards de dirhams.
Ce projet va changer la physionomie du transport urbain dans nos villes. Il marque aussi la fin d’une ère. En effet, l’acquisition des bus ne relèvera plus des prérogatives des conseils de la ville et des sociétés délégataires- longtemps décriés pour leur gestion- mais de celles de l’administration centrale qui financera les achats sur le budget général ainsi que sur ceux des collectivités locales.
Abdelouafi Laftit a également fait part de la volonté de l’état de produire ces bus localement. Une volonté louable à laquelle on ne peut qu’adhérer. Mais les échos des premières réunions sur le sujet sont inquiétants. Réunissant des distributeurs locaux, avec les ministères de l’Intérieur et de l’Industrie, elles ont mis en évidence une telle divergence de point de vue entre les acteurs que l’ambition exprimée par le ministre risque de devenir illusoire.
Le risque de voir notre pays rater une opportunité unique est bien réel. Le Maroc n’est actuellement pas capable de produire autant de bus dans un laps de temps aussi court. Produire est en fait un bien grand mot. L’industrie marocaine ne fabrique que les carrosseries et une valeur ajoutée locale ne dépasse pas les 15% de la totalité d’un véhicule. Le reste, c’est de l’importation.
“L’enjeu est capital puisque la naissance d’une telle industrie permettrait d’attirer des capitaux étrangers vers le Maroc tout en créant des emplois”
Mais avec une vraie volonté politique, de grandes choses sont possibles. Le Maroc l’a déjà prouvé dans le secteur automobile, avec des paramètres différents certes. Un effort de nos responsables permettrait d’attirer un constructeur de classe mondiale pour fabriquer localement une grande partie des bus. À travers une stratégie agressive de démarchage et de prospection, le Maroc est capable d’attirer un constructeur chinois, coréen ou européen. Un marché garanti d’une partie importante des 3500 bus est un atout attractif. L’enjeu est capital puisque la naissance d’une telle industrie permettrait d’attirer des capitaux étrangers vers le Maroc tout en créant des emplois dont notre économie a toujours cruellement besoin.
Ce projet peut aussi être l’occasion de changer d’ère en optant pour des bus électriques au lieu de ceux fonctionnant au diesel. Un choix qui en plus de l’avantage en coût d’utilisation permettrait à nos villes de baisser de manière drastique leur niveau de pollution. Un choix qui viendrait compléter la chaine de valeur d’usines de batteries que notre pays est en train de bâtir.
Mais pour cela il faut dépasser l’une des grandes tares de notre pays. Nos responsables n’aiment pas coordonner leur action. Attirer un constructeur demande du temps et des efforts et une forte coordination entre l’Intérieur, l’Industrie, le ministère chargé de l’investissement, L’AMDIE… Cela demande aussi de savoir résister aux lobbies qui recherchent la facilité, veulent d’abord vendre leur bus importés et qui ne veulent pas d’un constructeur local. Cela demande enfin une agressivité commerciale et une bonne capacité de négociation pour attirer les investisseurs. Abdelouafi Laftit a tracé les contours d’une petite révolution. À lui de la mener jusqu’au bout.