France - Maroc : séquences et conséquences

Par Yassine Majdi

La diplomatie est une affaire de séquences. Et celle déployée par la France au Maroc cette semaine en est une énième preuve. Elle commence par des révélations faites par nos confrères du Desk en début de semaine, qui annoncent que la diplomatie française a donné son feu vert pour le financement de projets au Sahara. Elle se poursuit par les propos de plusieurs chefs d’entreprises françaises basés au Maroc qui se réjouissent dans nos colonnes, ainsi que dans celles de nos confrères de Medias24, des perspectives offertes par la décision du Quai d’Orsay.

Ils évoquent une participation potentielle à des projets structurants – dont une partie sera réalisée dans nos provinces du Sud – et qui nécessitent des investissements dépassant les 150 milliards de dirhams. Il y a aussi ce courrier adressé à TelQuel et dans lequel Emmanuel Macron présente ses condoléances à notre rédaction à la suite de la disparition de notre directeur de publication. Le président français relevait que “(Réda Dalil) traçait ainsi des perspectives exigeantes pour renouveler le partenariat exceptionnel entre nos deux pays”.

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Cette séquence française au Maroc s’est conclue par la visite entamée jeudi 4 avril par le ministre français chargé de l’Investissement, Franck Riester. La série d’événements a de quoi réjouir les investisseurs, de Dakhla à Calais, qui pourraient y voir la promesse d’une relation maroco-française renouvelée. Mais ce serait ignorer la plaie profonde causée par le refroidissement des relations entre Rabat et Paris ces dernières années.

Pourtant, tout avait si bien commencé. Emmanuel Macron avait fait du Maroc l’une des premières destinations visitées après sa première élection. Le temps d’un ftour avec Mohammed VI, le président français avait pu notamment discuter de la situation dans un Rif alors bouillonnant. À l’issue de ce repas, il avait même été le premier à rapporter une parole royale sur le mouvement de contestation.

La proximité entre les deux chefs d’Etat s’est ensuite affichée comme une évidence aux yeux des observateurs, notamment lors de l’inauguration de la LGV, projet référence du partenariat maroco-français. Mais après le soleil est venu un hiver glacial. La France a, tour à tour, accusé le Maroc de recourir au logiciel d’espionnage Pegasus, freiné l’octroi de visas aux Marocains, mené une bataille pour l’adoption de deux résolutions hostiles au royaume au parlement européen. Et il y a eu, bien sûr, cette condescendance vis-à-vis de notre pays au lendemain du séisme d’Al Haouz…

Autant dire que la dernière séquence est de bon augure pour amorcer un réchauffement progressif des relations Rabat-Paris. Surtout qu’elle intervient après une visite effectuée par Stéphane Séjourné qui nous avait laissés sur notre faim. Le diplomate avait bien annoncé l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations entre nos deux pays, mais sans rien apporter de concret.

La France a pris du retard car d’autres chancelleries ont su saisir l’opportunité d’occuper les espaces laissés libres par Paris

Yassine Majdi

D’autant que la France a pris du retard car, durant ce refroidissement, d’autres chancelleries ont su saisir l’opportunité d’occuper les espaces laissés libres par Paris. À Rabat, certaines ambassades ont intégré les impairs commis par la diplomatie française à leur grille de lecture du Maroc. L’exemple de l’Espagne est particulièrement édifiant. En quelques années, les deux voisins sont passés d’une crise profonde à un partenariat d’exception, à la faveur d’un positionnement plus mesuré de l’Espagne sur le dossier du Sahara.

Mais pour la France, le véritable modèle est ailleurs. Les Émirats arabes unis, soutiens indéfectibles de l’intégrité territoriale, sont en train de bâtir une alliance avec le Maroc qui s’est matérialisée par le lancement de projets structurants au Sahara réalisés par les deux pays. Pour Paris, le retour au “partenariat d’exception” ne sera donc pas un long fleuve tranquille. Le poète Pierre Reverdy disait qu’“il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour”. On serait tenté de le paraphraser en disant qu’il n’y a pas de relations exceptionnelles, il n’y a que des preuves de relations exceptionnelles.

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