Ça fait plus d’un mois que cette année a commencé et il n’y a pas grand-chose qui aille mieux pour l’instant. Et c’est un euphémisme. En vrai, c’est même pire que l’année dernière. Dans le plus beau pays du monde, la sècheresse inquiète et les inquiétudes sont pour le moins justifiées. Ça va être la sixième année consécutive de sècheresse et tu ne vois pas d’autre manière de le dire : c’est clairement la merde.
Chez ta tante, les néfliers sont en fleur et ça n’a rien de poétique. Les sommets des montagnes restent tristement marrons, les barrages s’assèchent, les agriculteurs implorent le ciel et partout la terre craquelle. La pénurie d’eau et le réchauffement climatique n’augurent rien de bon pour le Maroc. Il y a de très beaux et ambitieux projets d’usines de dessalement d’eau de mer, de stations de recyclage des eaux usées et de projets de barrages… Bien évidemment, c’est formidable et tu applaudis ces projets d’envergure avec engouement et sincérité. Mais ce n’est pas pour tout de suite. C’est à l’horizon 2030. Bien sûr c’est très proche, c’est demain. Mais d’ici là, d’ici demain, on fait quoi ? Tu ne sais pas et ça te désespère un peu.
Le monde aussi te désespère, et pas qu’un peu. Sur la terre trois fois sainte, le sang coule beaucoup trop. Bien plus qu’aucune raison ne pourrait accepter. Ce qu’il se passe à Gaza est dramatique. C’est un drame humain, humanitaire et sanitaire. C’est un horrible drame. Dans l’absolu. Peu importe où l’on se trouve. Peu importe d’où l’on regarde.
C’est de notre humanité dont il est question. Si 8500 enfants morts dans un conflit dont ils ignorent tout ne nous touchent pas, c’est qu’une part de notre humanité est au moins totalement anesthésiée, si ce n’est amputée. 8500 gosses morts, ce n’est pas de la politique, c’est du massacre. Un déluge de bombes qui s’abat sur des centaines de milliers de civils ce n’est pas de la politique, c’est du massacre. Pilonner une ville où se réfugient des dizaines de milliers de civils abrités sous des tentes, ce n’est pas de la lutte contre le terrorisme.
“Une fillette de 6 ans, ça joue, ça rêve à ce qu’elle sera quand elle sera grande, ça se fâche avec son frère et ça s’écorche les genoux. Hind Rajab n’a pas eu ces blessures-là”
Une gamine qui crève sous les bombardements aveugles n’est pas une victime collatérale, c’est une gamine massacrée. C’est l’innocence massacrée. Et un titre dans un journal te donne envie de hurler et de pleurer en même temps : “À Gaza, la fillette de 6 ans disparue dans les combats a été retrouvée morte”. Non, non, non, une fillette de 6 ans ça ne meurt pas dans un combat. Non, non et encore non. Et là encore, peu importe où l’on se trouve, où l’on se place. Peu importe d’où l’on regarde. Une fillette de 6 ans, ça ne meurt pas dans un combat. Une fillette de 6 ans, ça joue, ça rêve à ce qu’elle sera quand elle sera grande, ça se fâche avec son frère, ça tire les cheveux de sa sœur et ça s’écorche les genoux. Hind Rajab n’a pas eu ces blessures-là.
Hind Rajab a été sauvagement, brutalement, aveuglément assassinée. Elle avait 6 ans et son crime est d’être née palestinienne dans une bande de terre sans horizon ni espoir. Blessée et coincée entre les tirs croisés et les cadavres, elle avait tenté de joindre les secours pendant plusieurs heures en vain.
Elle a imploré au bout du fil : “J’ai tellement peur, s’il vous plaît, venez”. Elle a fini par crever et son petit corps sans vie a été retrouvé 12 jours plus tard. Ses sanglots et sa voix ne peuvent que hanter l’humanité. Il est du devoir du monde entier, et c’est un devoir d’humanité d’abord, mais aussi une question de droit international, de faire cesser les bombardements et les tirs pour que des gamins prisonniers d’une guerre dont ils ignorent tout aient la possibilité de grandir en ne s’écorchant que les genoux.