Fin 2023, ce désormais phénomène a persisté, se manifestant à travers deux nouvelles tentatives de coups d’État. En Guinée-Bissau, le président a dissous le Parlement, tandis qu’en Sierra Leone, une série d’arrestations massives a été déclenchée par le président Julius Maada Bio.
Au-delà de l’effervescence des places publiques, ces récents coups d’État soulèvent des interrogations cruciales quant à l’avenir des pays concernés. Entraînant d’importants bouleversements institutionnels et politiques, avec des conséquences économiques et sociales sévères, leur portée dépasse les frontières nationales, engendrant des implications à l’échelle régionale, continentale, voire mondiale.
Le putsch, la nouvelle démocratie militaire ?
L’énigme des coups d’État en Afrique persiste, avec des motifs aussi complexes que variés d’un pays à l’autre. Les justifications avancées par les acteurs de ces coups, tels que le Comité national de rassemblement et de développement en Guinée, le Comité national pour le salut du peuple au Mali, et le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie au Niger, convergent autour de plusieurs éléments communs, comprenant notamment une situation sécuritaire instable, une conjoncture socio-économique précaire, ainsi que le non-respect des fondements démocratiques et institutionnels. Cependant, une observation de l’histoire récente de l’Afrique remet en question la capacité de ces coups d’État à apporter un remède à ces problèmes.
L’argument en faveur de la démocratie et de la préservation de l’ordre institutionnel soulève des questionnements. En effet, l’idée même d’un coup d’État, par sa nature non démocratique, crée des paradoxes quant à la crédibilité des acteurs affirmant restaurer la démocratie et protéger l’ordre institutionnel. Les expériences du Niger, de la Sierra Leone ou encore de la Guinée-Bissau ont démontré qu’il est possible d’avoir des présidents respectant relativement les normes démocratiques, mais qui ont été destitués ou ont été victimes d’une tentative de coup d’État.
En outre, la situation socio-économique fragile dans de nombreux pays africains est exacerbée par les instabilités politiques résultant des coups d’État. Ces événements perturbent les structures économiques fragiles, minent la confiance des investisseurs et entravent les initiatives de développement. Ainsi, à la précarité économique, la corruption et la répartition inégale des richesses, s’ajoute l’incertitude due aux changements brutaux et à la rhétorique démagogique dépourvue de tout plan économique clair et concis de la part des nouveaux dirigeants de ces pays.
Enfin, la stabilité promise par les putschistes se heurte souvent à la réalité sur le terrain. Dans certains pays comme le Burkina Faso, les tensions persistent même au sein des juntes militaires. Plusieurs hauts gradés, jadis considérés comme des “alliés” du nouveau dirigeant, sont désormais soit emprisonnés, soit en fuite, laissant craindre l’émergence d’un conflit fratricide. De surcroît, la menace jihadiste demeure active et constante dans toute la région, témoignant d’un double échec de ces acteurs à apporter une solution. Après leur défaite sur le front militaire, l’échec est d’autant plus cuisant sur le plan politique.
Que se passe-t-il au juste ?
Les transgressions répétées de l’ordre constitutionnel et institutionnel, l’aggravation accentuée de la situation socio-économique et les luttes acharnées entre les élites politico-militaires remettent en question la légitimité des auteurs de ces coups d’État. Leur récit semble servir davantage à légitimer leurs actions et à obtenir l’adhésion de la vox populi plutôt qu’à aborder les véritables enjeux de ces putschs.
Dans ce contexte, les luttes de pouvoir au sein des appareils militaires et sécuritaires revêtent un intérêt majeur. Après des années d’affrontements entre les armées et les groupes jihadistes, la reconfiguration interne de ces appareils a connu d’importants changements, marqués par des dynamiques générationnelles évidentes.
En effet, dans des pays tels que le Mali, la Guinée et le Burkina Faso, de jeunes officiers ont émergé et ont saisi les opportunités pour accéder au pouvoir en exploitant les failles des anciens. Tandis que dans des pays comme le Niger et le Gabon, des figures établies de la hiérarchie militaire voient leur autorité contestée par de nouveaux acteurs politiques. Ainsi, ces coups d’État témoignent avant tout de la volonté des militaires de consolider leur position en évinçant les anciens dirigeants ou en contournant les nouveaux pour maintenir leur emprise sur le pouvoir.
De plus, la solidarité croissante entre les nouveaux acteurs et les divisions de plus en plus marquées parmi les présidents qui ont pu pour l’instant maintenir leur emprise sur le pouvoir, crée des dynamiques régionales favorables à de tels événements. Cela se manifeste notamment par la récente création de l’Alliance des États du Sahel (AES), une nouvelle coalition politique, sécuritaire et monétaire des putschistes. Ces régimes militaires ont décidé également de se retirer de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en affirmant agir en toute souveraineté et en réponse aux attentes de leurs populations, chose qui renforce considérablement cette tendance.
Aux dynamiques régionales s’ajoute une dimension internationale, marquée par des ingérences étrangères, notamment de la Russie, de la France, et des États-Unis. Ces interventions sont souvent motivées par la volonté de tirer profit des richesses du continent et de s’imposer sur la scène internationale, transformant ainsi l’Afrique en un terrain de jeu géopolitique entre les grandes puissances. Ces rivalités ravivent des scènes familières en Afrique, où des acteurs locaux, soutenus par des forces étrangères, luttent pour le pouvoir et l’accès à ces ressources, au détriment de la stabilité politique et du bien-être des citoyens.
En quête de reconnaissance !
Au niveau continental, l’Union africaine (UA) et la CEDEAO, désormais prise par l’idée de mettre fin à cette série de bouleversements, maintiennent des positions claires et fermes vis-à-vis de ces derniers. La suspension automatique des États concernés de l’UA et les sanctions économiques, pouvant aller jusqu’à un embargo total, en est l’illustration.
Toutefois, ces positions ne sont pas immuables. Le rétablissement au sein de l’UA reste tributaire des influences diplomatiques et des alliances de chaque pays. Idem pour les sanctions de la CEDEAO qui sont souvent levées après de simples promesses de transition démocratique dans les pays concernés, mettant en évidence l’impuissance de ces deux organisations face aux auteurs de coups d’État.
La France, auparavant acteur majeur dans la région, se retrouve également dans une position d’impuissance.
Affaiblie par une ligne diplomatique “macronienne” qui a érodé son influence sur le continent, le positionnement de la France varie, avec des degrés de condamnation différenciés selon les pays. Ces réactions vont d’une démonstration de force en refusant de reconnaître le fait établi, comme c’est le cas avec Niamey, à des négociations pour la défense de ses intérêts économiques et diplomatiques à Conakry, en passant par un soutien tacite au nouveau pouvoir à Libreville.
La Chine, en tant qu’investisseur majeur sur le continent, maintient une position relativement neutre, intervenant principalement dans la diplomatie africaine lorsque ses intérêts économiques sont en jeu. En revanche, la Russie se distingue comme le grand gagnant de ces changements. En utilisant ses leviers économiques, diplomatiques, énergétiques et surtout sécuritaires, comme observé au Mali, la Russie cherche à s’imposer au continent et à reconquérir sa position de partenaire privilégié des pays africains, perdue à la suite de la disparition de l’URSS, au détriment de ses “ennemis” occidentaux.
Concernant les États-Unis, leur position repose largement sur des considérations normatives, impliquant la suspension de toute coopération avec un État en cas de coup d’État. Ainsi, l’administration Biden, déjà confrontée à des défis majeurs en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en mer de Chine, fait face à un double dilemme : ouvrir un nouveau front de confrontation en Afrique ou préserver ses intérêts au sein du continent en s’adaptant aux nouveaux changements.
Quid de la diplomatie marocaine ?
Le Maroc se trouve au cœur de ces événements en tant que partenaire majeur de l’ensemble de ces pays, avec des investissements et des échanges humains et culturels forts. La diplomatie marocaine adopte, depuis le déclenchement de ces événements, une position consistante, en appelant les différentes parties à un dialogue responsable tout en préservant la stabilité et l’intégrité territoriale des pays. Cette position, assez neutre avec peu de commentaires de la part du ministre des Affaires étrangères, préférant la diplomatie du silence, s’avère jusqu’à présent payante, conférant ainsi un avantage à Rabat.
Cet atout est soutenu par une stratégie de longue date, ayant permis au royaume de nouer des relations de confiance avec l’ensemble des acteurs dans ces pays, le rendant ainsi un interlocuteur crédible capable de jouer le rôle de facilitateur entre les différentes parties.
Cependant, la compréhension, la neutralité et la non-ingérence ne doivent pas occulter les dangers de ce qui se passe. Le Maroc n’a aucun intérêt à côtoyer une région instable qui menace ses intérêts économiques et géostratégiques, avec des mobilités migratoires accrues et l’installation de milices étrangères dans sa zone d’influence. Le Maroc doit désormais œuvrer pour la stabilité en envoyant un message clair à ses partenaires : après le temps des bouleversements, maintenant, c’est le temps de la paix, de la réconciliation et de la construction pour un avenir prospère dans l’ensemble du continent.