[Tribune] Mobilisation, solidarité et dérives : les leçons d’un séisme

Les grands évènements, heureux ou tragiques, ont cette vertu de nous renseigner sur l’état de notre pays, sur notre société et sur nous-mêmes. Il en va de même pour le séisme qui a frappé le Maroc en cette funeste nuit du 8 septembre. Avec le recul de quelques jours, on peut en tirer centaines leçons et conclusions.

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Les FAR mobilisées pour venir en aide aux sinistrés, le 11 septembre 2023 dans la province d’Al Haouz. Crédit: MAP

État fort, politiques fantômes

Tout d’abord, il y a la confirmation de l’existence d’un État solide, avec une épine dorsale administrative capable de se mobiliser en temps de crise.

Le déploiement rapide de l’armée, de l’administration territoriale, des forces de l’ordre, de la protection civile… et leur capacité à mener des actions coordonnées dès les premières heures qui ont suivi le séisme, démontrent que le Maroc dispose d’une véritable puissance publique, dans sa dimension administrative. Elle est l’héritage du vieux Makhzen et de la centralisation administrative moderne. On peut lui reprocher, en temps ordinaire, de nombreux travers (lenteur, procédures compliquées…), mais en temps de crise et d’exception, elle est là, présente et efficiente.

Reprise des cours dans la région d’Al Haouz, le 18 septembre.Crédit: MAP

Paradoxalement, à côté de cet État fort, coexiste un politique très faible. Pendant une semaine, la classe politique marocaine a été portée disparue. La terre s’est ouverte et a englouti ministres, élus et partis.

À quelques exceptions notables, notre classe politique a brillé par son absence, par son manque de représentation et d’incarnation pendant cette crise. Une absence qui fragilise davantage la vie politique marocaine, déjà anémique, et pousse à s’interroger sur l’utilité de nos institutions représentatives.

Générosité, solidarité, empathie

Ce séisme nous renseigne également sur les qualités de notre peuple, qui ne sont ni des slogans publicitaires ni des formules vaines pour appâter les touristes. La générosité, la solidarité et l’empathie sont des vertus constitutives de l’être marocain. Elles lui sont chevillées au corps.

Dès les premières heures du séisme, tous les Marocains ont été touchés et choqués par le sort des populations frappées par le tremblement de terre. On y voyait nos frères, nos sœurs et nos enfants.

Rassemblement de Casaouis pour la collecte de produits alimentaires, de tentes et de couvertures, le 11 septembre 2023.Crédit: MAP

Chacun a essayé d’y répondre à sa manière. Dans un élan sincère de solidarité, de longues caravanes de véhicules, remplies de vivres et de provisions pour les populations sinistrées, ont défié les routes escarpées et impraticables menant aux douars touchés par le séisme.

Répliques malsaines

Mais c’est aussi pendant cette période que l’on a vu les pathologies des réseaux sociaux en œuvre. Celles et ceux qui sont à l’aise avec l’indécence ont fait leur pèlerinage en Atlas. Certains ont transformé cet élan de solidarité nationale en safari, en un spectacle cynique d’exhibition des victimes, des rescapés et de leurs enfants.

Certains ont transformé cet élan de solidarité nationale en safari

L’ego rendu fou et aveugle par le nombre de likes et de vues, la perspective d’agrandir sa base de followers en se servant des photos prises sur les décombres, la cupidité et la médiocrité morale et humaine… ont motivé ce carnaval d’indécence. Une infime minorité de parasites qui a failli entacher les actes généreux, sincères et silencieux de millions de Marocains anonymes.

Les faiblesses de la communication officielle

Le tremblement de terre du 8 septembre nous informe aussi, au niveau de sa gestion, sur les faiblesses de notre communication officielle. L’État marocain est capable de faire des choses grandioses, de monter des opérations complexes, de mobiliser rapidement des ressources humaines, logistiques et financières considérables, mais souffre d’un problème endémique de communication.

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Pendant les trois premiers jours qui ont suivi le séisme, et à l’exception du décompte des victimes fourni par le ministère de l’Intérieur, les informations arrivaient au compte-goutte ! C’est dans le flou, le manque de réactivité et la résistance à fournir des informations simples, factuelles et précises que pullulent les rumeurs, les fake news et les incompréhensions.

La nature et les réseaux sociaux ont horreur du vide, et quand l’État peine ou tarde à informer, d’autres se chargent de le faire à sa place et remplissent l’espace public de spéculations et de fabulations. La phase de reconstruction pourrait être l’occasion de remédier à cette faiblesse et d’informer les Marocains, et le monde, d’une manière transparente et réactive, sur le chantier de tout un pays.

Abdellah Tourabi est journaliste, chroniqueur et spécialiste de l’Islam politique au Maroc, ancien directeur de publication de TelQuel.