Séisme d’Al Haouz : quels enseignements tirer de la communication de crise ?

Assurer la communication après une catastrophe comme celle du séisme d'Al Haouz est loin d'être une simple affaire, dans un temps où les réseaux sociaux sont omniprésent avec le risque de propagation de fake news que cela comprend.

Par

Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors d'un point de presse tenu à l'issue de la réunion hebdomadaire du Conseil de gouvernement. Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Communiqué officiel, comité de coordination interministérielle et annonce d’indemnisation des sinistrés… Ces derniers jours, le gouvernement Akhannouch multiplie les annonces d’actions prises suite au séisme qui a frappé le Maroc.

Il y a sans doute, dans ce déploiement prolixe, une réponse aux critiques sur la latence dans la communication du gouvernement. Un manque de célérité qui lui a valu une volée de bois vert. À commencer par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch dont le communiqué, très attendu dans les premières du séisme, n’est arrivé que… 48 heures après la tragédie !

Mustapha Baitas a quant à lui brillé par son mutisme. Alors que les journalistes le pressaient de questions dès les premières heures, le porte-parole du gouvernement ne s’est adressé à la presse qu’après la réunion exceptionnelle du Conseil de gouvernement du 10 septembre consacré à l’examen de la situation suite au séisme.

Akhannouch, Jettou : deux drames, deux styles

Toutes proportions gardées, entre Aziz Akhannouch et Driss Jettou qui ont eu à diriger le gouvernement lors de drames quasi similaires, les styles de communication sont différents. Alors Premier ministre, Driss Jettou avait mis moins de 24 heures pour réagir après le séisme qui a ravagé la ville d’Al Hoceima dans la nuit du 24 au 25 février 2004.

La nuit même de ce jour tragique, Driss Jettou avait coordonné dans l’urgence la distribution de denrées alimentaires, de médicaments et de couvertures et de montage de tentes d’urgence aux sinistrés.

Driss Jettou, Premier ministre du Maroc de 2002 à 2007.Crédit: Rachid Tniouni/TelQuel

Le lendemain du drame, après avoir annulé une réunion prévue avec la CGEM, Driss Jettou avait pris la parole à midi sur la première chaîne de télévision nationale pour détailler le dispositif d’urgence alors ordonné par le roi Mohammed VI.

Il avait ensuite coordonné, avec le protocole du cabinet, cette visite royale pendant laquelle le souverain avait planté sa tente sur les hauteurs d’Al Hoceima, non loin de l’hôpital de la ville où étaient soignés les survivants.

Le porte-parole du gouvernement à l’époque Nabil Benabdallah l’avait suppléé pour rectifier les informations parues dans la presse étrangère faisant état d’émeutes au sein des sinistrés.

“Il est important de différencier le temps réel de l’action et la perception du temps par le public”

Hatim Benjelloun

Le gouvernement Akhannouch ne semble pas s’inspirer de son prédécesseur qui a eu à gérer les mêmes circonstances. Mais alors, comment comprendre ce mutisme des premières heures ? “Il est important de différencier le temps réel de l’action et la perception du temps par le public. Le rythme auquel les autorités agissent peut différer de celui perçu par la population”, tempère Hatim Benjelloun, directeur général du cabinet Public Affairs & Services (PASS), interrogé par TelQuel.

Et d’ajouter : “La règle veut qu’avant toute intervention, un travail préliminaire complexe doit être effectué : évaluer la situation, déterminer les besoins, puis flécher les ressources à déployer sur le terrain. Il existe des processus et des méthodes qu’il est impossible d’ignorer.”

à lire aussi

Si le besoin de coordination au sein de l’équipe gouvernementale fournit une partie de l’explication sur cette lenteur, la communication gouvernementale a semblé parcellaire. Mais dès le soir du séisme, le ministère de l’Intérieur avait pris les devants.

À travers le secrétariat général de sa direction générale des Affaires intérieures, le ministère de l’Intérieur a centralisé aussitôt une cellule de crise afin d’informer le public des évolutions de la situation et des mises à jour de l’évaluation des dégâts. À ce jour, c’est le même service qui actualise le bilan.

Abdelouafi Laftit, de son côté, a présidé dimanche après-midi deux réunions à Al Haouz et Taroudant. En présence des gouverneurs des provinces les plus touchées par le séisme, des représentants des services sécuritaires et des élus des provinces concernées, le ministre de l’Intérieur a mis en musique les orientations données par le roi sur le dispositif d’urgence en coordination avec l’armée.

Communication parcellaire…

Par ailleurs, d’autres membres du gouvernement ont assuré, seuls, une opération de communication de proximité sans que l’on sache véritablement s’ils le faisaient sous leur casquette de ministre ou sous l’ombrelle de leur mandat d’élus locaux.

Alors que Marrakech, la ville dont elle est la mairesse, a été le plus durement touchée par le séisme, Fatima Ezzahra El Mansouri a troqué son tailleur et ses escarpins pour des baskets. Présente sur le terrain depuis le tremblement de terre, la ministre de l’Urbanisme a été aperçue dans la nuit sur la place Jemaa El Fna où elle est venue réconforter les habitants qui y avaient trouvé refuge face aux risques d’éboulements. 

D’autres vidéos montrent la ministre-mairesse, tous les jours qui ont suivi le séisme, en train de mobiliser les membres de son équipe afin de gérer et coordonner l’aide humanitaire et les volontaires qui souhaitaient venir en aide aux victimes présents dans la ville.

Mandat du gouvernement, exercice de son mandat local ou communion avec son bastion politique du PAM ? La question de la triple casquette s’est également posée dans le cas d’Abdellatif Ouahbi qui a effectué, le 10 septembre dernier, une série de visites d’inspection dans plusieurs douars situés à Taroudant (ville dont il est le maire) notamment à Taliouine — son village natal, Tisrasse, Assaki ou encore Tafingoult.

Difficile de savoir sous quel mandat Ouahbi s’est adressé aux populations. Maire de Taroudant, le ministre de la Justice d’Akhannouch, mais également secrétaire général du PAM, a prêché la solidarité et la mobilisation à quelques activistes, militants et hommes d’affaires rencontrés sur place.

Un des premiers ministres que les Marocains ont vu débouler sous l’intitulé de son poste est sans doute Khalid Aït Taleb. Le ministre de la Santé, qui s’est rendu dans les centres de soins de Marrakech le dimanche 10 septembre, a été le premier responsable gouvernemental à donner une déclaration aux médias.

Sa visite, a fait savoir le ministre, “intervient en application des Hautes instructions du Roi Mohammed VI et de ses recommandations consistant à accorder plus de proximité et d’accompagnement médical, psychologique et social au profit des victimes de ce drame”.

… puis collégiale

Passées ces initiatives individuelles indéfinies, la communication gouvernementale lors de cette crise a par la suite pris des allures plus collégiales. Le 11 septembre dernier, Aziz Akhannouch a présidé la réunion du comité interministériel chargé d’élaborer le programme d’urgence, de réhabilitation et d’aide à la reconstruction.

Si la plupart des ministres ont été présents, la rencontre a été élargie au wali et coordinateur national de l’INDH, Mohamed Derdouri, et au directeur du développement de l’espace rural et des zones de montagnes au ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural, des Eaux et forêts, Saïd Laith.

En creux, une annonce phare : “Des indemnisations seront octroyées aux propriétaires des logements touchés par le séisme”, lance Aziz Akhannouch par voie de communiqué.

L’efficacité en matière de communication en temps de crise repose sur la canalisation de l’information. La surcharge d’informations (infoboulimie), souvent symptomatique dans ces situations, peut être gérée par la mise en place d’un numéro vert ou d’une plateforme de communication officielle dédiée. Ces canaux permettent aux populations de s’informer rapidement et de manière fiable”, propose Hatim Benjelloun, DG de PASS.

En plus de ces plateformes, il est essentiel d’adopter une approche proactive pour diffuser l’information. Cela pourrait inclure des communiqués réguliers, des alertes en temps réel et des points presse. La transparence est la clé : plus l’information est précise et vérifiée, moins les fake news peuvent se propager”, détaille le spécialiste en communication.

Et de conclure : “Il est important de noter que la coordination entre les autorités, les médias officiels, certains acteurs de la société civile et des experts est cruciale pour assurer l’efficacité de la communication. En travaillant ensemble, ces entités peuvent fournir une image complète et précise de la situation. Concernant la communication internationale, des défis peuvent surgir, mais il est important de rester centré sur l’objectif principal : sauver des vies.