Hatim Benjelloun : “En temps de crise, la coordination entre autorités, médias officiels, société civile et experts est cruciale”

Hatim Benjelloun est le directeur général du cabinet Public Affairs & Services (PASS). Pour TelQuel, il analyse la communication de crise du gouvernement marocain dans la gestion du séisme qui a frappé le Maroc, le 8 septembre dernier.

Par

Aziz Akhannouch au parlement le 24 cctobre 2022. Crédit: Rachid Tniouni/TelQuel

TelQuel : Quels types de communication un gouvernement met-il en place en cas de catastrophes semblables au séisme d’Al Haouz ? Sur quels leviers ?

Hatim Benjelloun : Dans le contexte des catastrophes naturelles, comme celles du tragique séisme que nous venons de vivre, la communication doit être soigneusement calibrée en fonction des circonstances et des besoins. La communication n’est pas une fin en soi. Il est d’abord crucial de définir clairement les rôles, en particulier celui de la communication officielle.

Le comité responsable de la gestion de crise est ensuite chargé de déterminer les messages à diffuser et le moment approprié pour le faire. Les messages doivent être brefs, clairs, transparents et utiles pour le public. Le but est d’informer, de rassurer et/ou d’alerter les populations.

“Il est essentiel de surveiller comment l’information se propage sur les réseaux sociaux”

Hatim Benjelloun, spécialiste en affaires publiques

En ce qui concerne le timing, lors du point culminant de la crise — pendant et après le séisme — la communication doit être la plus factuelle et succincte possible. Ce n’est pas le moment pour l’analyse en profondeur et encore moins pour les débats ou les polémiques. Une fois que l’urgence commence à diminuer, la communication peut adopter une approche plus narrative pour expliquer la situation au public et informer sur les prochaines étapes, comme la reconstruction, la réhabilitation, les aides disponibles, les appels aux dons, etc.

Il est également important de choisir les bons canaux de communication. Les canaux officiels, comme la presse, doivent être privilégiés, car ils offrent une source fiable d’information. En revanche, il est essentiel de surveiller comment l’information se propage sur les réseaux sociaux et de contrer toute désinformation. Les médias officiels, en tant que porteurs de l’information, ont la responsabilité de distinguer et de clarifier ce qui est vrai de ce qui est faux pour le public.

Enfin, il est possible de communiquer indirectement à travers les associations de la société civile ou encore les experts spécialistes en catastrophes naturelles pour faire passer des messages plus exhaustifs sur la situation et les besoins en matière de soutien et de secours.

Comment le gouvernement peut-il mettre en place une communication efficace à destination de la population marocaine et de l’extérieur ?

L’efficacité en matière de communication en temps de crise repose sur la canalisation de l’information. La surcharge d’informations (infoboulimie), souvent symptomatique dans ces situations, peut être gérée par la mise en place d’un numéro vert ou d’une plateforme de communication officielle dédiée. Ces canaux permettent aux populations de s’informer rapidement et de manière fiable.

En plus de ces plateformes, il est essentiel d’adopter une approche proactive pour diffuser l’information. Cela pourrait inclure des communiqués réguliers, des alertes en temps réel et des points presse. La transparence est la clé : plus l’information est précise et vérifiée, moins les « fake news » peuvent se propager.

“La coordination entre les autorités, les médias officiels, certains acteurs de la société civile et des experts est cruciale”

Hatim Benjelloun, spécialiste en affaires publiques

Il est important de noter que la coordination entre les autorités, les médias officiels, certains acteurs de la société civile et des experts est cruciale pour assurer l’efficacité de la communication. En travaillant ensemble, ces entités peuvent fournir une image complète et précise de la situation.

Concernant la communication internationale, des défis peuvent surgir, comme nous l’avons vu avec la situation entre le Maroc et la France. Dans de tels cas, il est important de rester centré sur l’objectif principal : sauver des vies. Les débats politiques ou les malentendus diplomatiques ne doivent pas détourner l’attention. En même temps, il est crucial de reconnaître et d’apprécier l’aide offerte par les partenaires internationaux, tout en communiquant, en temps voulu, sur les besoins réels sur le terrain, ce que le Maroc s’est empressé de faire.

Le gouvernement, notamment son chef Aziz Akhannouch, est critiqué pour une certaine lenteur dans la réaction. Comment analysez-vous cela ?

Il est important de différencier le temps réel de l’action et la perception du temps par le public. Le rythme auquel les autorités agissent peut différer de celui perçu par la population. C’est de notoriété publique, l’État marocain est bien préparé pour respecter tous les standards de gestion de crise dans de telles situations. L’armée, grâce à ses ressources humaines, techniques et technologiques, l’est encore plus. La patience et la résilience sont de mise. D’ailleurs, de nombreux programmes de simulation et de préparation aux catastrophes naturelles ont été initiés par les autorités ces dernières années, conjointement avec des pays partenaires.

“Le rythme auquel les autorités agissent peut différer de celui perçu par la population”

Hatim Benjelloun, spécialiste en affaires publiques

Et la règle veut qu’avant toute intervention, un travail préliminaire complexe doit être effectué : évaluer la situation, déterminer les besoins, puis flécher les ressources à déployer sur le terrain. Il existe des processus et des méthodes qu’il est impossible d’ignorer, sans quoi la situation pourrait s’aggraver, causant confusion, décisions asymétriques, congestion et dispersion des efforts.

Prenons l’exemple d’un patient en soins intensifs, pris en charge de manière improvisée et désorganisée par une multitude de médecins, d’infirmiers et de spécialistes, tous déterminés à le sauver. La diffusion ou le conflit des décisions et des informations pourraient, au contraire, mettre sa vie en danger, et ce quelle que soit l’expertise ou le niveau de qualification du personnel soignant.

En conclusion, même si les intentions sont bonnes et qu’il y a beaucoup de bienveillance, si ces efforts ne sont pas coordonnés et organisés avec soin, ils peuvent s’avérer contre-productifs, voire dangereux.