Aider les Marocains ou réduire le déficit ?

Par Réda Dalil

Drôle de saynète de la vie politique. Le PPS adresse une lettre ouverte au gouvernement dans laquelle le parti d’opposition s’inquiète de l’indifférence du gouvernement face à “la flambée exorbitante et insupportable des prix des produits alimentaires”.

Une réponse vexée du bureau politique du RNI fuse. On reproche au secrétaire général Nabil Benabdallah d’avoir directement interpellé Aziz Akhannouch, au lieu d’emprunter les “canaux institutionnels” prévus par la Constitution, comme les séances mensuelles de questions au gouvernement. Comprendre : hors parlement, il serait donc indélicat pour un chef de parti de l’opposition de critiquer l’Exécutif. Cela exclut donc la télévision, la radio, les meetings, les réseaux sociaux et autres.

Ce constitutionnalisme soudain, s’il n’était hilarant, en serait inquiétant. Car s’insurger contre la parole libre d’un parti, c’est invisibiliser ses électeurs, autrement dit priver d’expression des Marocains au seul motif qu’ils appartiennent à un bord politique différent.

Mais il faut dire que ce gouvernement a du mal à poser un mode de communication efficient. Son enfermement dans le silence, du moins jusqu’à récemment, a accrédité cette thèse, désormais répandue, qu’il n’œuvre qu’en défense des intérêts sociaux de l’élite économique. Cette théorie est bien évidemment fausse, comment pourrait-il en être autrement ? Toutefois, rien, ou si peu pour le moment, ne vient en désamorcer les prémices.

Attendu sur la régulation des prix à la pompe, le gouvernement n’a jamais plafonné les marges des pétroliers, ni baissé la TVA ou la TIC sur le litre de carburant. Attendu sur le dossier de l’inflation des produits alimentaires, le gouvernement a engagé des pourparlers avec les exploitants, sans grand effet, là où il aurait fallu peser avec plus d’intensité pour accroître l’offre sur le marché local et en assainir la logistique. Enfin, attendu sur un soutien financier au bénéfice des plus vulnérables, le gouvernement ne cesse de renvoyer la distribution des aides directes aux calendes grecques.

C’est qu’en réalité, la redistribution solidaire ne semble pas être dans l’ADN du gouvernement. Plus que tout, l’équipe dirigeante souhaite préserver ses équilibres macro-économiques afin d’éviter une mise sous tutelle de la part d’instances de financement telles le FMI.

À vrai dire, cette peur paranoïaque est exagérée. Le Marocain lambda ne le sait peut-être pas, mais la dette souveraine marocaine ne nous place guère à la merci des créanciers étrangers. L’essentiel de cette dette étant détenu par des banques et des OPCVM marocains. Même schéma s’agissant de nos avoirs en devises, où, grâce à des exportations euphoriques, à des transferts de fonds de nos MRE en hausse fulgurante et à un secteur touristique plus solide que jamais, nous couvrons plus de cinq mois d’importations.

C’est dire si les oiseaux de mauvais augure qui font planer la menace d’un défaut sur notre pays sont soit aveuglés par des réflexes pavloviens, soit mus par la volonté de maintenir le statu quo. Autrement dit, dépenser le moins possible pour soutenir les citoyens les plus fragiles en ces temps d’inflation, puis présenter en fin de mandat une ardoise ornée d’un déficit public de 3%. Signe que l’on a géré le pays en bon père de famille, à ceci près que l’on a affamé ses enfants.

“Si l’assistance à personne vulnérable se justifie quelque part dans 
le monde, c’est au Maroc qu’elle prend toute sa signification”

Réda Dalil

Le président de la jeunesse RNIste, au micro de l’excellent Tarik Belhaissi (Al Madar 21), a même parlé d’en finir avec “l’assistanat”. Un aveu obscène dans un pays où près de 60% de la population en âge de travailler n’a pas d’emploi. Si l’assistance à personne vulnérable se justifie quelque part dans le monde, c’est au Maroc qu’elle prend toute sa signification. Les Marocains méritent un gouvernement soucieux de leur présent. Nul ne peut reprocher à l’état de s’activer à réformer l’éducation nationale et le système de protection sociale. Ces réformes sont les bienvenues et ne manqueront guère d’améliorer le bien-être des citoyens. Mais ces chantiers exigent des délais considérables pour afficher leurs premiers résultats. John Lennon disait que “la vie c’est ce qui vous arrive pendant que vous êtes occupé à faire des plans et des projets”. La vie de nos citoyens n’est pas reluisante. Il est temps de s’en occuper. Ici et maintenant.