[TRIBUNE] L’enfance violée au Maroc, encore une fois…

Par Abdellah Taïa

Une petite fille marocaine de 11 ans dans un douar non loin de la ville de Tiflet. Appelons-la Naoual. Pendant plusieurs mois, trois hommes de son quartier la violent régulièrement. Tranquillement. Sans jamais être inquiétés. Naoual est leur petit jouet sexuel favori. Rien de nouveau. Il s’agit là d’une horreur quotidienne que doivent vivre je ne sais combien de milliers de petits enfants au Maroc. Et ailleurs.

Naoual ne parle pas. Qui va l’entendre ? Elle a sûrement très peur. Ses violeurs la menacent. Lui crient dessus. On te fera du mal, à toi et à ta famille. Compris ? Après chaque séance de viol collectif, la nièce d’un des violeurs la ramène chez elle.

Naoual est sacrifiée. Les hommes ne peuvent pas se contrôler, vous savez. On doit les comprendre quand même. Leurs besoins sexuels les dominent, les dépassent. Il faut qu’ils baisent. Violer est si simple au Maroc. C’est plus qu’une culture. C’est un mode de vie. Quelque chose d’héréditaire. Un destin. Tout le monde finit par y passer un jour.

Ne vous bousculez pas, s’il vous plaît. Chacun son tour. Une petite écolière. Un petit garçon efféminé. Une adolescente frivole. Un adolescent qui se maquille. Les hommes ont l’embarras du choix. Ils sont des monstres affamés. Alors : ils se servent. Se re-servent. Pourquoi ne le feraient-ils pas ? La justice est de leur côté. Complètement. Entièrement. Aveuglément.

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Naoual tombe enceinte. Une petite fille de 11 ans enceinte ! On a envie de pleurer, de crier, de se rouler par terre, tellement on est en colère.

La rumeur se répand partout dans le douar. Elle arrive jusqu’aux oreilles du père de Naoual. Au lieu de se laisser écraser par le poids de la honte, ce père, courageux et bouleversant, emmène sa fille au poste de police. Il porte plainte contre les trois violeurs de Naoual.

Ce père est rare au Maroc. Il faut saluer fort son courage et sa dignité. Lui, il aime pour de vrai sa petite fille. Il ne l’a pas abandonnée. Il n’a pas fait comme les autres, ces pères qui croient bien élever leurs enfants alors qu’ils ne font que les tuer chaque jour un peu plus. Un père c’est souvent, malheureusement, la voix et l’instrument du Pouvoir pour soumettre, frapper, condamner, castrer, emprisonner, perpétuer le machisme et l’hétéronormativité.

La protection des enfants et des femmes de la violence, ce n’est pas pour nous. Cela ne fait pas partie de nos traditions

Le père de Naoual a fait plus que son devoir. Mais la justice marocaine a été en dessous de tout. Elle a condamné les trois violeurs à seulement deux ans de prison, alors que la loi prévoit des peines allant, dans certains cas, jusqu’à 30 ans de réclusion. Entre les chiffres 2 et 30, il y a tout un Océan d’injustice.

Les trois hommes ont été poursuivis pour “atteinte à la pudeur sur mineur avec violence” et “détournement de mineur” et non pas pour viol. Et pour justifier un tel verdict, le juge dit avoir pris en compte “la situation sociale des accusés qui n’avaient pas d’antécédents judiciaires”. Autrement dit, la justice a eu plus de cœur pour les bourreaux que pour la victime. Elle a trahi Naoual et, dans la foulée, tranquillisé tous les violeurs. Vous pouvez continuer votre travail. La fin de la culture du viol au Maroc, ce n’est pas pour demain. La protection des enfants et des femmes de la violence, ce n’est pas pour nous. Cela ne fait pas partie de nos traditions.

L’histoire tragique de Naoual rappelle tellement d’autres affaires qui ont bouleversé fort les Marocains et qui ont été si vite oubliées. À chaque fois, on avait l’impression que les choses allaient évoluer vraiment cette fois-ci et que le pouvoir allait enfin se réveiller et donner aux citoyens les libertés et les lois qu’ils méritent.

Puis : c’est la douche froide. Criez comme vous voudrez. Manifestez dans les rues. Vous n’obtiendrez rien. Wallou.

Tout le monde se lève aujourd’hui pour défendre la petite fille de Tiflet. Même le ministre de la Justice crie au scandale. Mais qu’en est-il des autres petites filles comme Naoual ? Et les petits garçons ? Et les LGBTQ+ toujours criminalisés par la loi et violés sans que personne ne les défende ?

En 2020, à Tanger, le petit Adnane a été enlevé en plein jour par un voisin. Il l’a violé, tué et enterré dans son propre quartier. Personne n’a rien vu, bien sûr. Et quand l’affaire a éclaté, tout le monde a exigé que le violeur-assassin soit condamné à mort. Personne n’a pensé à sa propre responsabilité et a la responsabilité de la société et du Pouvoir dans cette tragédie. Qui se souvient aujourd’hui du petit Adnane ?

Que faut-il faire de plus pour que la Justice marocaine cesse de condamner les citoyens les plus vulnérables à la misère, au silence et aux viols quotidiens ?