Le 24 mai dernier, Laila Slassi a été acquittée une nouvelle fois des dernières plaintes introduites à son encontre par des parties adverses à ses clients. Managing partner du cabinet casablancais Afrique Advisors, elle s’est occupée, pour le compte d’investisseurs américains, de dossiers ayant fait couler beaucoup d’encre. Platinum Power, Brookstone Partners Morocco, Ecomed, Laila Slassi s’est retrouvée au centre de dossiers qui ont provoqué des secousses dans le cercle des affaires marocain. Au risque de se transformer en cible.
Elle a ainsi fait l’objet de plusieurs plaintes au pénal ou devant le barreau de Paris. Des poursuites qui se sont toutes soldées par des décisions en sa faveur. Retour sur ces affaires au cœur de conflits d’associés nationaux et internationaux, dans l’univers feutré des cabinets d’avocats d’affaires.
La déflagration Platinum Power
“Lorsqu’en 2014, à 30 ans, j’ai décidé de rentrer au Maroc pour fonder mon cabinet, je cherchais avant tout à conseiller les acteurs économiques. Je ne m’attendais pas à intervenir en contentieux, encore moins à être sur le banc des accusés”, nous raconte-t-elle.
Car Laila Slassi est prise à partie et attaquée à titre personnel en 2019, avec l’éclatement de l’affaire Platinum Power. Devant la justice et dans les médias, les deux actionnaires de cette entreprise de production d’énergie hydroélectrique s’écharpent. Laila Slassi représente alors l’investisseur américain Michael Toporek, qui accuse son associé Omar Belmamoun de détournements.
Le 20 mai de la même année, l’assemblée générale (AG) du fonds d’investissement Brookstone Partners Morocco (également créé par les deux associés) révoque Omar Belmamoun de son poste de PDG. Celui-ci porte plainte contre Michael Toporek, mais aussi contre son conseil juridique, Laila Slassi, pour falsification du procès-verbal de l’AG, qu’elle avait signé en qualité de secrétaire de séance, en présence de trois huissiers.
“À aucun moment nous n’avons cédé au chantage, et nous avons fait confiance, à raison, à la justice marocaine”
Omar Belmamoun introduit parallèlement une plainte auprès de la commission de déontologie du barreau de Paris. Une plainte classée sans suite. “Comme d’autres conseillers et partenaires de Michael Toporek, j’ai été un dommage collatéral des actions de Belmamoun. Derrière ces attaques, c’est surtout mon client qui était visé, sans aucun fondement, uniquement pour le mettre sous pression. C’est finalement l’inverse qui s’est produit : à aucun moment nous n’avons cédé au chantage, et nous avons fait confiance, à raison, à la justice marocaine”, assure Laila Slassi.
Devant les tribunaux de commerce, ce PV d’AG sera validé en première instance avant d’être retoqué en appel pour une irrégularité de forme. Depuis, le mandat de Belmamoun comme président de Brookstone Partners a expiré.
Au total, ce seront 20 plaintes introduites au pénal par Omar Belmamoun ou les entités qu’il représente, à l’encontre de Michael Toporek, ses employés, ses partenaires et ses conseillers. Toutes celles qui ont été clôturées l’ont été en faveur du clan Toporek, en première instance comme en appel.
Dans le même temps, Platinum Power est aujourd’hui en liquidation judiciaire avec plus de 200 millions de dirhams de dettes déclarées au syndic.
L’épisode Ecomed
AAlors que Omar Belmamoun multiplie les actions contre Laila Slassi, elle s’occupe d’un autre dossier explosif, celui d’Ecomed, pour le compte d’un autre investisseur américain. Les deux fondateurs de l’entreprise spécialisée dans la gestion des déchets solides, Ahmed Hamidi et le groupe américain Edgeboro, actionnaires à 50-50, sont en conflit.
En effet, en 2018, le conseil de la ville de Casablanca décide de résilier son contrat avec Ecomed Casa pour la gestion de la décharge de Médiouna, le patron d’Edgeboro International fait alors appel à Laila Slassi qui le conseillait depuis 2017 pour l’aider à mieux comprendre la situation de ses filiales marocaines.
“Ahmed Hamidi gérait seul les opérations marocaines sans se concerter avec Edgeboro, malgré leurs demandes répétées”, précise-t-elle. Une “opacité” qui inquiète le groupe américain : sur les conseils des avocats du cabinet Hogan Lovells, il prévoit de porter l’affaire devant le CIRDI, le tribunal d’arbitrage international de la Banque Mondiale.
“Puis, dans le cadre des discussions avec la ville de Casablanca, ils décident de se désister de cette action, et de procéder à une refonte intégrale de la gouvernance d’Ecomed pour plus de transparence”, explique la patronne du cabinet Afrique Advisors.
Ahmed Hamidi approuve dans un premier temps l’arrangement, accepte la mise en place d’une cogérance mais fait volte-face après la réalisation des formalités.
Il décide de contester le PV de l’AG ayant acté la nomination des Américains comme cogérants devant le tribunal de commerce et de poursuivre Laila Slassi à titre personnel, en multipliant les recours : devant le juge d’instruction, devant le procureur et devant le barreau de Paris, l’accusant d’usurper le titre d’avocate.
Elle bénéficie d’un non-lieu, d’un acquittement et d’un classement sans suite. Sur le volet commercial, les tribunaux de commerce de Rabat et de Casablanca confirment la validité des PV et la cogérance des Américains.
Acharnement judiciaire… et médiatique
Si la justice marocaine a finalement donné raison aux investisseurs étrangers dans toutes ces affaires, la multiplication des plaintes et surtout leur médiatisation immédiate interrogent.
Laila Slassi cherche encore des explications à cet acharnement : “Le temps médiatique est différent du temps judiciaire. Ces plaintes ont été systématiquement surmédiatisées avant d’être rejetées par la justice marocaine, mais le mal était déjà fait. Dans le même temps, mes clients et moi-même faisons l’objet, jusqu’à ce jour, de tentatives d’intimidation et de chantage afin de nous forcer à négocier, en vain. Mes clients ont fait le choix de faire confiance en la justice de notre pays et ils ont eu raison. La justice marocaine a été irréprochable”, nous dit-elle.
“Les comportements isolés de certains associés locaux d’investisseurs étrangers sont, malheureusement, autant de coups portés à l’image du pays”
Néanmoins, Laila Slassi invite à une réflexion sur la mise en place de mécanismes de protection des investisseurs étrangers au Maroc. “Lorsqu’ils sont victimes d’abus, dans un pays dont ils ne comprennent pas les codes, les investisseurs étrangers ne bénéficient d’aucune protection ou assistance particulière, alors même qu’ils jouent un rôle important pour attirer d’autres investisseurs de leurs pays respectifs. Les comportements isolés de certains de leurs associés locaux sont malheureusement autant de coups portés à l’image du Maroc”, explique-t-elle.
Et de conclure avec une bonne dose d’ironie : “Ce chapitre aura au moins eu le mérite de parfaire ma formation d’avocate par un stage pratique, grandeur nature.”