La Haute Cour régionale de Coblence (Ouest) a reconnu coupable Anwar Raslan, 58 ans, responsable de crimes dans un centre de détention secret du pouvoir à Damas et réfugié en Allemagne depuis 2014.
Les juges l’ont condamné pour le meurtre de 27 prisonniers et la torture d’au moins 4000 autres, en 2011 et 2012, dans le centre de détention d’Al-Khatib, dit aussi branche 251, un lieu de sinistre réputation pour la cruauté de son personnel et de ses pratiques, largement documentées pendant les audiences.
Il s’agit de la deuxième condamnation dans ce procès après celle, en février 2021, d’un autre membre du renseignement syrien, d’un grade subalterne. Ce verdict est “historique”, a salué le directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch (HWR), Kenneth Roth. Près de onze ans après le début du soulèvement populaire en Syrie, le procès, très suivi par l’importante communauté syrienne en exil, était le premier à porter sur l’examen des crimes imputés au régime.
“Je suis soulagé”, a confié à l’AFP Wassim Mukdad, un ancien prisonnier d’Al-Khatib qui avait témoigné à la barre des sévices subis. “C’est un signal que la torture et les crimes commis en Syrie sont des crimes contre l’humanité. Et que les auteurs de ces crimes doivent en payer le prix”, a ajouté ce musicien de 36 ans, qui réside en Allemagne.
Un bond en avant dans la poursuite de la justice
Pour Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, “c’est un bond en avant historique dans la poursuite de la vérité, de la justice et des réparations pour les graves violations des droits humains commises en Syrie sur plus d’une décennie”.
Anwar Raslan, qui dirigeait le service des enquêtes de la branche 251, est resté muet tout au long de ce procès fleuve entamé le 23 avril 2020. Ses avocats avaient lu une déclaration écrite dans laquelle cet ancien officier niait son implication dans la mort et la torture de détenus. Jeudi, il a écouté le verdict, traduit en arabe, sans émotion apparente, a constaté une journaliste de l’AFP.
Pour ces procédures, l’Allemagne applique le principe juridique de la compétence universelle qui permet à un État de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, quels que soient leur nationalité et l’endroit où ils ont été commis.
Devant le tribunal, des familles syriennes ont brandi jeudi des affiches demandant “où sont-ils ?”, à savoir les disparus dans les centres de détention syriens.
Les 80 témoins entendus avaient raconté la violence subie dans les cellules insalubres et bondées de la prison où régnaient, selon la Cour, “des conditions catastrophiques”. Ils ont témoigné malgré “une grande peur du régime syrien, que ce soit pour eux-mêmes ou pour leur famille. Je leur dois tout mon respect”, a souligné la présidente de la Cour, Anne Kerber, au moment de la lecture du verdict, insistant toutefois sur le fait que ce n’était “pas le régime syrien qui comparaissait”.
Torture et affamement des détenus
Les détenus d’Al-Khatib n’étaient pas seulement “torturés mais aussi affamés et privés d’air”, a-t-elle encore dit. Ils ont “reçu des coups sur tout le corps”, “ils ont été pendus par les poignets” et ont subi “des électrochocs et des brûlures”. “Ils étaient soumis à une énorme pression psychologique, certains ont perdu la raison ou tenté de se suicider”, a-t-elle poursuivi.
Pour la première fois, des photos de “César” avaient été présentées dans un tribunal. Cet ex-photographe militaire a exfiltré au péril de sa vie plus de 50.000 clichés montrant des milliers de détenus morts suppliciés. Le conflit en Syrie a fait près de 500.000 morts et poussé à l’exil 6,6 millions de personnes.
Le verdict “est une victoire pour la justice, une victoire pour les victimes ici, qui ont pu venir et pour celles qui ne peuvent pas être là. C’est une victoire pour la Syrie et pour l’avenir de la Syrie”, a salué à Coblence Anwar al-Bunni, un avocat et opposant syrien, qui avait reconnu l’accusé croisé fortuitement dans une rue de Berlin.
Anwar Raslan, en détention provisoire depuis trois ans, n’avait pas fait mystère de son passé lorsqu’il avait trouvé refuge dans la capitale allemande avec sa famille. Ses défenseurs n’ont cessé depuis d’arguer qu’il avait fait défection dès 2012 et avait tenté de ménager les prisonniers.
Un autre procès lié au régime syrien, celui d’un médecin réfugié en Allemagne, doit s’ouvrir jeudi prochain à Francfort.