Les élections sont l’occasion pour les partis de présenter des programmes électoraux aussi alléchants les uns que les autres, nourris de moult promesses électorales. Cette année 2021, elles sont même d’une générosité inégalée. En voici un petit échantillon : augmenter le taux de croissance de 3% (actuellement) à 6% en fin de législature, ramener le taux de chômage à 8% (au lieu de 12 %), faire passer le budget consacré à la santé de 5,7% du produit intérieur brut à 12%, sortir un million de familles de la pauvreté, etc.
Tenir ces promesses électorales risque toutefois de relever du vœu pieux, du moins si deux conditions ne sont pas réunies. D’abord la disponibilité de l’espace budgétaire (“fiscal space” ou marge de manœuvre budgétaire qui permet au gouvernement de fournir des ressources à des postes et secteurs dans des conditions soutenables) nécessaire à cet égard ; ensuite l’émergence d’élites politiques à même de mettre en œuvre ces promesses sur les plans législatif et réglementaire. Or, au vu des données disponibles, rien ne garantit que ces conditions sont réunies dans le contexte économique et politique actuel.
De ce point de vue, deux obstacles majeurs risquent de renvoyer ces promesses électorales aux calendes grecques. Le premier : les engagements pris par le Maroc vis-à-vis du Fonds monétaire international (FMI) suite à l’obtention d’une ligne de précaution et de liquidité (LPL) de près de 3 milliards de dollars, ligne qui a été entièrement mobilisée par le Maroc pour faire face à la crise sanitaire du Covid-19. Cette dernière a eu pour effet de creuser le déficit budgétaire (plus de 6% par rapport au produit intérieur brut en 2020) et d’augmenter sensiblement le taux d’endettement (76% du PIB sans prendre en compte la dette contractée par les entreprises publiques et les collectivités territoriales).
La camisole FMI
“Le prochain gouvernement se retrouvera ainsi pieds et poings liés, ne disposant pratiquement d’aucune marge de manœuvre lui permettant de mettre en oeuvre les promesses prodiguées à gauche et à droite durant la campagne”
En conséquence, le FMI considère que le Maroc devrait donner la priorité à la réduction du déficit budgétaire et de l’endettement, réduction qui passe selon ses préconisations classiques par l’adoption d’une politique budgétaire d’austérité. Il faut donc s’attendre à ce que des mesures déjà prises par le passé, telles que la compression de la masse salariale, la suppression de la subvention aux carburants et autres produits de première nécessité, l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (la TVA) sous couvert de simplification d’un système de taux complexe, la reprise des opérations de privatisation et le recours aux partenariats publics-privés, le gel ou la diminution des dépenses d’équipement, etc., soient reconduites et amplifiées.
La lettre de cadrage de la loi de finances pour l’année 2022 prévoit par exemple que les investissements publics se limiteront à des opérations de rationalisation, sans plus. Le prochain gouvernement se retrouvera ainsi pieds et poings liés, ne disposant pratiquement d’aucune marge de manœuvre lui permettant de faciliter la mise en œuvre des promesses prodiguées à gauche et à droite durant la campagne électorale.
Un deuxième obstacle dirimant qui incite à douter du sérieux et de la faisabilité des promesses électorales réside dans la nature problématique des candidats qui aspirent à obtenir la confiance des électeurs et des électrices. En commençant par la présence en force d’hommes d’affaires (notamment des promoteurs immobiliers, des entrepreneurs, de grands agriculteurs), associée au recours à volonté à l’argent afin d’obtenir les faveurs (électorales) des couches sociales déshéritées et/ou “convaincre” des citoyens et citoyennes de se porter candidats sur les listes de tel ou tel parti. Avec la forte transhumance des parlementaires et des élus locaux sortants, ce sont autant de facteurs qui risquent de dévoyer les institutions élues de leur rôle et de leur finalité démocratique.
Perpétuer le capitalisme de connivence
Ces pratiques malsaines risquent également d’enraciner le capitalisme de connivence et la recherche de rentes dans le paysage institutionnel marocain, tout en bloquant les réformes visant à promouvoir les valeurs de justice sociale, d’équité et d’égalité. Leur prolifération trahit également les défaillances de plusieurs partis politiques qui se sont transformés en “boutiques électorales”, abandonnant par là même leurs rôles d’encadrement de la population et d’intermédiation politique et citoyenne.
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la défiance vis-à-vis de la classe politique s’accentue de jour en jour et que la vraie politique – celle qui vise à changer le rapport de forces pour réaliser le changement démocratique – tende à s’exercer ailleurs, c’est-à-dire dans la rue et par les mouvements sociaux.