Investir dans la cryptomonnaie exige une excellente tolérance au risque. La volatilité des cours des cryptoactifs exige des nerfs d’acier. Une situation qui explique que la position des États et du secteur privé vis-à-vis du Bitcoin et de la cryptomonnaie varie entre interdiction, tolérance méfiante, ou adoption massive.
La position du Maroc en la matière est ambivalente, avec une approche plutôt restrictive. Si l’Office de changes a décidé l’interdiction officielle du recours à la cryptomonnaie depuis 2017, il n’en demeure pas moins que début 2021, Bank Al-Maghrib a ouvert une brèche dans ce front d’interdiction en mettant en place un comité de réflexion destiné à explorer les opportunités de déploiement d’une monnaie centrale digitale, connue communément sous le nom de Central Bank Digital Currency (CBDC).
“Le Maroc peut profiter de la dynamique de la cryptomonnaie comme c’est le cas en Chine et en Estonie pour accélérer le déploiement d’une CBDC en vue de booster la digitalisation de l’économie et des paiements et de se libérer de la prédominance du cash”, estime Rachid Guerraoui, l’une des figures marocaines actives dans les recherches sur les nouvelles alternatives au Bitcoin, et sur l’intelligence artificielle décentralisée, dans le laboratoire de recherche à l’École polytechnique de Lausanne (EPL).
Alors que le Maroc tarde à s’investir dans cet univers, plusieurs pays, entreprises et fonds d’investissement ont fait le choix de la reconnaissance de la cryptomonnaie. Dans cette dynamique de reconnaissance graduelle de l’univers de la cryptomonnaie par plusieurs banques centrales, la plateforme d’échange de cryptomonnaies Binance a déployé des plateformes de trading avec les monnaies locales de plusieurs pays tels que Singapour, la Corée du Sud, l’Australie et les États-Unis.
Une proximité qui accélère la pénétration du marché de la cryptomonnaie auprès du grand public, en interconnexion avec le système bancaire traditionnel, permettant aux utilisateurs d’acheter, par virement bancaire ou carte bancaire, des cryptomonnaies.
En 2020 le déclic, en 2021 l’accélération
L’année 2020 était une année de virage stratégique de ce long et laborieux processus de reconnaissance. En effet, aux États-Unis, l’autorité de régulation SEC (Securities and Exchange Commission), a autorisé, fin 2020, les banques à gérer des cryptoactifs pour leurs clients et investisseurs. Du côté des instances internationales, le top management du FMI a encouragé à plusieurs reprises les banques centrales à émettre des monnaies numériques (CBDC) comme alternatives à l’utilisation du cash.
Dans le secteur privé, la tendance d’adoption de la cryptomonnaie s’accélère. Le constructeur automobile de voitures électriques Tesla a investi récemment plus de 1,5 milliard de dollars en Bitcoin. Pour sa part, Square, une entreprise de services de paiements, et MicroStrategy, un éditeur de logiciels informatiques, ont aussi converti l’année passée une partie de leur cash en Bitcoin. Blackrock, le plus grand gestionnaire de fonds américain, a lui annoncé autoriser certains de ses fonds à investir dans la monnaie virtuelle.
Plus intéressant, Paypal a acheté, récemment, la société israélienne Curv, spécialisée dans la garde de cryptomonnaies, tout en intégrant ce mode de paiement dans son offre globale pour autoriser l’achat, la vente et le stockage de divers cryptoactifs.
Autre signe de maturité de l’écosystème de la cryptosphère, l’introduction au Nasdaq de la plus grande bourse d’échange de cryptomonnaies, Coinbase, le 14 avril dernier. Créée en 2012, cette plateforme de vente et d’achat de cryptomonnaies, dont le Bitcoin et l’Ethereum, à réussi son introduction à un prix de référence fixé à 250 dollars, soit une valorisation de plus de 86 milliards de dollars, un record dépassant celui détenu en 2012 par Facebook.
Au-delà de la multiplication des initiatives étatiques et du secteur privé pour adopter la cryptomonnaie, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un marché à haut risque où les lignes bougent continuellement et où le piratage constitue un point sur lequel il faut être vigilant si l’on souhaite investir dans une monnaie cryptée, puisque plusieurs millions de dollars ont été volés à cause de failles dans la sécurisation de sites web proposant des porte-monnaie.
Compte tenu de ces multiples risques, le Maroc pourrait, à défaut de visibilité à court terme, au moins investir dans la démocratisation de la technologie sous-jacente à cette révolution digitale, à savoir la Blockchain, selon l’expert Rachid Guerraoui. “La technologie de Blockchain est une opportunité pour explorer les avantages de la confiance distribuée. Son adoption par des organismes privés et publics au Maroc sera un levier de digitalisation et du renforcement de la lutte contre la corruption tout en positionnant le pays en tant que leader en Afrique”, conclut-il sur un ton optimiste.
Acheter du Bitcoin au Maroc, c’est possible
En principe, toute transaction ou recours au Bitcoin au Maroc est considéré comme une infraction à la réglementation des changes, passible de sanctions et d’amendes prévues par les textes en vigueur. Or, techniquement, il est impossible d’interdire les transactions d’achat et de vente de Bitcoin malgré la restriction territoriale imposée par l’Office de changes.
En effet, à titre indicatif, à travers la plateforme tierce de confiance LocalBitcoins, les internautes peuvent acheter le Bitcoin en contrepartie du dirham à travers un virement bancaire, Wafacash, CashPlus et les différents porte-monnaie mobiles.
LocalBitcoins est un service d’échange de Bitcoins de personne à personne. Autrement dit, c’est une plateforme où les utilisateurs peuvent acheter et vendre des Bitcoins entre eux. Les utilisateurs marocains créent des offres en indiquant le prix de vente ou d’achat en dirhams et le moyen de paiement qu’ils souhaitent offrir.
Autre piste utilisée par plusieurs traders de la cryptomonnaie, les cartes bancaires provisionnées avec la dotation touristique annuelle. Ces cartes sont parmi les moyens privilégiés pour acheter directement sur des plateformes d’échange de cryptomonnaies (aussi appelées “exchange” en anglais), tels que Binance et Coinbase. Traduisez : même si le Maroc interdit la cryptomonnaie officiellement, rien ne peut arrêter les transactions transfrontalières sous l’effet de la disponibilité de plateformes d’échanges multi-devises, y compris en dirhams, une monnaie non convertible.