L’activiste Soheib Debaghi a été condamné à un an de prison ferme, mardi 19 mai à Alger, pour “incitation à attroupement, outrage à corps constitué et publications Facebook pouvant porter atteinte à l’intérêt national”, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien aux prisonniers. Deux autres militants du “Hirak”, Larbi Tahar et Boussif Mohamed Boudiaf, ont écopé le même jour de 18 mois de prison ferme, également pour des publications sur Facebook, d’après le CNLD et l’antenne algérienne d’Amnesty International.
Leur peine a été prononcée par un tribunal de la wilaya (préfecture) d’El Bayadh, au sud-ouest d’Alger, lors d’une audience par visioconférence. Le procureur avait requis trois ans de prison ferme, a précisé le CNLD. Selon son avocat Me Abdelghani Badi, Larbi Tahar était accusé d’“outrage au président de la République” pour des messages publics dans lesquels il qualifiait Abdelmadjid Tebboune de “président illégitime” — élu le 12 décembre 2019 lors d’un scrutin rejeté par le “Hirak” et marqué par un taux d’abstention de 60 %.
Enterrer toute contestation
Quant à Boussif Mohamed Boudiaf, il a dénoncé “l’injustice” du système judiciaire à travers ses publications, a précisé sur Facebook l’avocat, qui le représente également. Les trois militants condamnés sont déjà en détention. Par ailleurs, le parquet d’Aïn Temouchent (ouest) a requis mercredi 20 mai neuf ans de prison ferme et une très forte amende contre un détenu hirakiste, Hicham Sahraoui, accusé notamment “d’outrage à corps constitué et d’atteinte à la personne du président de la République”, selon le CNLD.
“Il s’agit d’une répression à l’aveugle, un coup les journalistes, un coup les médias, un coup les militants, un coup les réseaux sociaux”
Malgré la pandémie de Covid-19 qui a contraint la contestation à suspendre ses manifestations depuis mi-mars, le régime algérien — maniant la carotte et le bâton — continue de cibler opposants, journalistes, médias indépendants et internautes. Pendant que des activistes du “Hirak” sont relâchés au compte-gouttes, comme Abdelouahab Fersaoui, un chef de file du mouvement, libéré lundi 18 mai après huit mois derrière les barreaux, d’autres sont interpellés et traduits en justice dans tout le pays.
Selon le dernier décompte du CNLD, quelque soixante personnes sont actuellement en détention dans les prisons algériennes pour des faits liés au “Hirak”. “Il s’agit d’une répression à l’aveugle, un coup les journalistes, un coup les médias, un coup les militants, un coup les réseaux sociaux”, observe Karima Direche, historienne spécialiste du Maghreb, évoquant la “politique de balancier” d’un “régime en fin de vie”.
La pandémie, “une aubaine pour le pouvoir”
Depuis le début du soulèvement populaire le 22 février 2019, des internautes isolés, en particulier en province, sont régulièrement poursuivis pour leurs publications sur les réseaux sociaux. Un jeune partisan du “Hirak”, Walid Kechida, est en détention depuis le 27 avril à Sétif (nord-est), pour avoir publié des mèmes, ces images virales comiques ou satiriques détournées sur les réseaux sociaux, moquant les autorités et la religion. Le militant de 25 ans est accusé d’“outrage à corps constitué”, d’“offense au président de la République” et “aux préceptes de l’islam”. Il risque jusqu’à cinq ans de prison.
Selon les analystes interrogés par l’AFP, le pouvoir algérien profite de la crise sanitaire pour enterrer une bonne fois pour toutes la contestation. “La pandémie du Covid-19 est une aubaine pour le pouvoir”, estime Hacène Hirèche, professeur d’université. “Sa préoccupation obsessionnelle depuis le 22 février est de mettre fin aux manifestations de rue. Tout a été entrepris pour cela : répression, manipulation, tentative de division, infiltration des rangs des meneurs, etc. Mais rien n’y a fait, le peuple algérien est resté déterminé, uni et conscient des enjeux. C’est inédit”, juge-t-il.
Le “Hirak” réclame un changement du “système” en place depuis l’indépendance du pays en 1962. En vain, jusqu’à présent, même s’il a obtenu la tête du président Abdelaziz Bouteflika après 20 ans de règne.