Privatisation de la SAMIR, le péché originel du chaos des carburants

Dans son avis rendu public le 15 février, le Conseil de la concurrence reproche au gouvernement d'avoir libéralisé le marché des hydrocarbures alors que la raffinerie de la SAMIR était en faillite. Pour résoudre le problème des prix des carburants, le Conseil recommande notamment la réappropriation nationale de l’activité du raffinage.

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La Samir à Mohammedia © Yassine Toumi

La faillite de la SAMIR est-elle à l’origine du chaos dans le secteur des hydrocarbures ? C’est ce que suggère le Conseil de la concurrence. Dans son avis rendu public le 15 février dernier concernant le plafonnement des hydrocarbures, l’instance présidée par Driss Guerraoui reproche au gouvernement d’avoir « pris le risque de libéraliser totalement les prix des carburants sachant au préalable que le marché allait être privé du seul raffineur national qui jouait un rôle essentiel au niveau du maintien des équilibres concurrentiels, de l’approvisionnement du marché et du stockage ».

Ainsi, la cessation d’activité de la seule raffinerie nationale en 2015, quelques mois avant la libéralisation du secteur, aurait créé une distorsion du marché des hydrocarbures, selon le Conseil. Un avis que rejette catégoriquement le ministre des Affaires générales et de la Gouvernance. « Si le Conseil de la concurrence considère que le gouvernement a pris la décision de libéraliser les prix du carburant tout en sachant que le marché perdrait la seule entreprise de raffinage nationale, pourquoi ne dit-il pas que la privatisation de cette entreprise était une erreur dès le début ?», rétorque Lahcen Daoudi dans un entretien accordé à TelQuel Arabi.

Abdelilah Benkirane abonde dans le même sens. « Il ne fallait pas privatiser la SAMIR et encore moins la céder à un étranger », déclarait le précédent chef du gouvernement début 2016, lors de son grand oral devant la deuxième chambre. Mais le lien de causalité entre la faillite de la SAMIR et les plus de 13 milliards de dirhams que les pétroliers ont engrangés lors des deux années suivant la libéralisation du secteur est, lui, plus difficile à avouer pour Lahcen Daoudi. Pour comprendre comment cette faillite a profité aux distributeurs, il faut retracer l’histoire de la raffinerie.

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Brève histoire d’un fiasco

Tout commence en 1997, lorsque l’Etat marocain décide de céder sa seule raffinerie. Le groupe saoudien Corral rachète la SAMIR et la Société chérifienne pétrolière pour 4 milliards de dirhams. Cette transaction sera d’ailleurs la plus importante de l’histoire des privatisations marocaines. Selon une source proche du dossier, Corral et le gouvernement marocain signent un contrat. En vertu de ce dernier, l’entreprise saoudienne s’engage à réaliser des investissements durant les cinq premières années : un milliard de dirhams pour mettre à niveau la raffinerie de Sidi Kacem (fermée en 2009), et cinq à six milliards de dirhams à Mohammedia pour réaliser une unité d’hydrocraquage, afin de convertir le pétrole brut en essence, kérosène, carburéacteur ou diesel.

L’Etat marocain s’engage, quant à lui, à protéger le marché en appliquant des droits de douane sur les importations de pétrole, en plus d’un coefficient d’adéquation permettant d’amortir les fluctuations des prix de  l’ordre de 6,5%.

Durant les cinq premières années, la SAMIR bénéficiera d’un quasi-monopole sur la distribution de carburants au Maroc. Entre-temps, le groupe saoudien ne fera aucun investissement pour moderniser son outil de production. Début 2002, l’ancien ministre de la Privatisation, Abderrahmane Saïdi, qui a alors repris la direction générale de la raffinerie, négocie avec le gouvernement le maintien des avantages accordés à la SAMIR en contrepartie de la réalisation des investissements. Le coefficient d’adéquation sera ramené de 6,5% à 2,5% et les droits de douane seront reconduits de 2002 jusqu’à 2007. Mais le 25 novembre de la même année, un énorme incendie dans la raffinerie la rend hors d’usage. Sous la menace d’une pénurie, le gouvernement décide de suspendre les droits de douane pour permettre aux distributeurs d’importer du pétrole.

La SAMIR contre les distributeurs

Cette mesure va largement bénéficier aux importateurs, au grand dam de la SAMIR. En l’absence de barrières douanières, le pétrole importé revient moins cher que le pétrole raffiné localement. Alors que cette situation précipite la faillite de la SAMIR, la libéralisation des prix des carburants fin 2015 profitera aux distributeurs. Le marché se trouve, selon le Conseil de la concurrence, dans une position de « concertation élevée et d’une structure monopolistique sur certains marchés et oligopolistique sur d’autres ». Une situation qui permet alors aux distributeurs de réaliser des marges astronomiques.

Aussi, le Conseil de la concurrence estime que la proposition de Lahcen Daoudi de plafonner les marges des distributeurs est un choix « insuffisant ». L’autorité recommande « une réappropriation nationale de l’activité du raffinage [qui] revêt un réel intérêt. Outre le fait qu’elle contribue à rétablir les équilibres concurrentiels, elle permet à la ou (aux) structure(s) en charge du raffinage de jouer le rôle de contre-pouvoir vis-à-vis des opérateurs dominants dans les segments d’importation, du stockage et de la distribution en gros. C’est pour cette raison que le Conseil recommande au gouvernement de mettre en place un dispositif spécifique d’encouragement de l’investissement dans l’industrie de raffinage privé et/ou dans le cadre d’un partenariat public-privé ». Une nouvelle vie pour la SAMIR en perspective ?