I Diawara ! », acclame en cœur le public assis sous « l’arbre à palabre » de l’Institut Français d’Essaouira, après le chant a capella de Fatoumata Diawara. C’est la tradition malienne : pour féliciter et remercier l’artiste, on rend hommage à son patronyme. En cette chaude après-midi, les sourires sont sur toutes les lèvres des dizaines de festivaliers coiffés de chapeaux de paille venus rencontrer l’artiste.
Starisée par les organisateurs de la rencontre qui on insisté sur le programme très chargé de la chanteuse, comme pour signifier aux badauds leur bonne fortune, Fatoumata est pourtant loin de l’image de la diva inaccessible. En jean-baskets, elle a l’air simplement heureuse d’échanger avec ses « frères et sœurs ». Simple, mais incroyablement présente, elle diffuse son énergie empathique. Sa sagesse mystique qui se lit sur les traits de son visage, réguliers et profonds comme semble l’être son âme. L’âme, un terme qui revient souvent dans sa bouche, comme la spiritualité, l’amour, l’humanité… mais aussi la douleur, le combat, la révolte.
« Nous chantons ce que nous devons pleurer »
« Nous les artistes, nous sommes tous malades. Nous chantons ce que nous devons pleurer », confie-t-elle. Derrière sa force presque guerrière, on entrevoit sa sensibilité extrême dans laquelle elle puise sa puissance créatrice. Enragée, elle l’est contre toutes les injustices. Intervenant le matin même dans le cadre du forum « l’impératif d’égalité » organisé par le CNDH, celle qui a appris la guitare très tôt explique que « dans le monde de la musique, c’est avec les instruments que les hommes dominent les femmes. Tu dois coucher pour pouvoir faire un album et ton musicien dit qu’il veut te protéger, mais ça veut dire qu’il faut que vous sortiez ensemble. Beaucoup de jeunes filles tombent dans cette situation, elles sont obligées d’être lesbiennes pour ne pas coucher ».
Sa musique, c’est son arme pour lutter contre les injustices qui la révoltent. Ses textes parlent d’excision, de mariage forcé, mais aussi des vies brisées des migrants. « Le fait qu’on refuse le visa à des jeunes qui veulent explorer le monde me révolte. Il ne faut pas que cette jeunesse africaine perde sa dignité parce qu’elle passe par la mer ».
Une révolte qui vient de loin : « j’ai dû m’enfuir de chez moi un soir, pour pouvoir devenir ce que je suis devenue. J’ai dû inventer mes influences, j’avais l’envie de prouver à ma famille et à la société malienne que je pouvais réussir seule. La femme a des messages à faire transmettre à travers la musique, et l’homme ne pourra pas faire pour elle », raconte-t-elle. Originaire de Bamako, elle explique qu’ « au Mali, on ne chante pas uniquement pour chanter. Les femmes ont toujours chanté pour le développement, les causes sociales, elles utilisent la musique comme la politique ». Un combat qui prend d’autant plus de sens lorsque l’on sait que dans sa culture, « les femmes n’ont pas le droit de toucher un instrument de musique lorsqu’elles ont leurs règles ». Si elle s’est affranchie de cette tradition patriarcale, elle avoue être encore aujourd’hui « obligée de (me) cacher quand j’ai mes règles. Je ne le dis pas à mes musiciens ».
« Laisser parler nos âmes »
Le soir venu, Fatoumata dans une robe rouge sang, entre en scène comme un tourbillon de lumière. En fusion avec la marocaine Asma Hamzaoui, première femme à jouer du guembri, instrument traditionnellement réservé aux hommes, le duo féminin brise les tabous. « Il y aura de la spiritualité ce soir, on va laisser parler nos âmes, et j’aimerais qu’après cette expérience que Asma puisse tenir le flambeau et porter toute une génération de musiciennes engagées », expliquait-elle plus tôt. Une spiritualité transmise à un public magnétisé. Celle que d’aucuns appelle la « déesse malienne » synthétise une idéal humaniste universel teinté des traditions africaines ancestrales, qu’elle veut perpétuer et révéler au monde : « Je suis pour la tradition, l’africanité. Je souhaite que l’Afrique continue à s’introduire au reste du monde ».
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