Entre vent glacial et monts enneigés, l’hiver peine encore à céder place au printemps. Nous sommes à Aghbalou n’Cerdan, petit bourg perché à plus de 1500 mètres d’altitude entre Midelt et Khenifra. C’est ici où Abdelkader Ibrahimi, 32 ans, dirige l’un des camps d’entrainement qui a récemment déclenché une tempête médiatique.
Lundi dernier, soit quelques heures seulement après avoir nous avoir accordé une entrevue, le parquet de Beni Mellal a ordonné le transfert d’Ibrahimi à l’hôpital Errazi de psychiatrie à Berrechid. Selon des sources proches, l’individu y séjournera le temps de passer une expertise médicale. « Le procureur général se prononcera sur la poursuite juridique après réception du rapport d’expertise médicale » ajoute notre source.
Une formalité transformée en calvaire
Tout a commencé lorsque, début mars, une délégation de l’Observatoire marocain contre la normalisation (avec Israel) a été accueillie par le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme Mustapha Ramid. A l’occasion, les activistes ont remis au responsable gouvernemental un dossier attestant l’existence de supposés « manœuvres militaires extérieures dans le territoire marocain ». Des allégations graves qui ont poussé le ministre à transmettre le dossier à la DGSN pour ouvrir une enquête approfondie. Et au département d’Abdellatif Hammouchi d’entamer l’enquête le 18 mars en convoquant pour une première fois Abdelkader Ibrahimi dans ses locaux de Casablanca. D’autres convocations suivront à Meknès.
Dans la foulée, le Groupe d’action nationale pour la Palestine a tenu une conférence de presse à Rabat pour dénoncer un « institut israélien encadré par des sionistes ». Ces derniers apprenaient à des Marocains, selon les accusateurs, « les techniques de guerre et de massacre à l’aide de pistolets et d’armes blanches ».
Pour Ibrahimi, qui considérait sa convocation par la BNPJ (la police judiciaire relevant de la DGSN) comme une « simple formalité », le plus dur ne faisait que commencer. « Tout allait bon train jusqu’à ce que je me réveille en apprenant par ma femme que je fais la une des journaux » commente l’intéressé. Sur la terrasse d’un café où il a ses habitudes, l’homme très apprécié dans son village n’hésite pas parler de « fake-news » et de « contrevérités ».
Opération désintox
Photos de la famille royale et d’arts martiaux, diplômes, médailles et une foultitude de drapeaux. Les murs du domicile d’Abdelkader Ibrahimi laisseraient croire qu’il habite un musée. Avec une imposante roue de tracteur à sa porte d’entrée, la maison de ce féru de sports de combat depuis son enfance est reconnaissable à Aghbalou n’Cerdan. « Je l’utilise (la roue, ndlr) dans les exercices d’endurance » explique l’occupant des lieux.
S’agissant des stages d’entrainement qu’il dirige, Ibrahimi tente d’abord de clarifier l’intitulé officiel de son institut. Présenté par de nombreux médias comme étant l’« institut israélien Alpha », le vrais nom de cette entité est « l’Institut supérieur de formation en sécurité privée et de Krav-maga ». C’est ce qu’atteste le récépissé de déposition de la demande de création auprès du pachalik de Khénifra. La ville étant déclarée siège de l’institut, créée sous la forme juridique d’association.
« En vérité, Alpha est le nom que j’ai donné au camp d’entrainement d’Aghbalou n’Cerdan » explique Ibrahimi, arguant que le choix de la première lettre de l’alphabet latin trouve des origines simples. « C’est la première lettre de mon prénom, en plus d’être le nom d’un (code) morse militaire connu », justifie notre interlocuteur, pionnier de la discipline du Frapdo, un mélange original entre le Krav-maga israélien et le Systema russe.
A en croire son dirigeant, l’institut ambitionne de multiplier ses sections à l’échelle nationale. « Nous avons fondé l’Association Nayzak Al Kawni de Frapdo à Taza, tandis que mes adeptes à Sefrou ont créé l’Association Aigle d’or du Frapdo » nous apprend-il, ajoutant qu’un troisième collectif associatif devra voir le jour à Midelt. «Si nous regroupons 24 associations, nous aurons le droit de constituer une fédération royale de la discipline ». Entre autres activités, le natif de Guercif atteste que son institut a conclu des partenariats débouchant sur des tournées de formation dans des villes comme Meknès, Errachidia, N’kob et Tinghir. « A Meknes, j’ai moi-même organisé une session de formation dans le centre omnisports du ministère de la Jeunesse et des sports » se défend-il pour répondre à ceux qui l’ont accusé d’agir dans la clandestinité.
Au nom de la sécurité privée
S’il déclare « ne pas en vouloir aux profanes, par manque de culture de vulgarisation », Ibrahimi ne ménage pas « une certaine élite bien au fait des choses ». Selon lui, il ne fait aucun doute que des associations de droit commun marocain s’attellent à introduire un agenda politique, sur un conflit extérieur. « A les entendre parler, Aghbalou serait une sorte de Little Syria ou Afghanistan » ironise-t-il
Notre homme se présente comme le défenseur des travailleurs dans le domaine de la sécurité privée, qu’il appelle à valoriser. « Il ne suffit pas de donner un costume à un homme et se retrouver à la porte d’une enseigne avec un salaire misérable, sans sécurité sociale. C’est une humiliation pour l’appareil sécuritaire du royaume, respecté de par le monde » estime-t-il.
Topographe et pharmacologue de formation, Ibrahimi tente tout de même de porter une analyse sur l’acharnement médiatique dont il se dit « victime ». « Tout domaine négligé fait scandale à son apparition, c’est une règle. Comme dans les droit de l’Homme, les premiers à avoir revendiqué ce droit ont été déclarés ennemis publics. Aujourd’hui et grâce à eux tout le monde peut plus ou moins s’exprimer librement » extrapole-t-il.
Des visites qui dérangent
Suivant ses prouesses techniques sur le web, de nombreux experts sécuritaires ont rendu visite à Abdelkader Ibrahimi pour constater de plus près ses méthodes de formation. Entre autres grosses pointures, il a accueilli dans sa rudimentaire demeure d’Aghbalou Emanuel Traxel qui n’est autre garde du corps d’Emmanuel Macron et gendre de Jacques Chirac. « Il m’a remis l’Etoile européenne de dévouement civil et militaire. Ce qui est une première pour un extracommunautaire » se targue notre interlocuteur.
Aussi, le capitaine dans l’Armée française et ex garde du corps de Nicolas Sarkozy Claude Da Fonseca figure parmi les ex hôtes d’Ibrahimi. La France, pays qui lui a décerné sa Médaille Jeunesse et des sports et Engagement associatif par le biais Americo Da Silva, coordinateur dans la Police nationale pourrait bien être la prochaine destination d’Ibrahimi. « Si toutes les portes restent fermées au Maroc, j’envisage de quitter définitivement mon pays » nous signifie-t-il.
L’instructeur a eu des ennuis avec les élus PJD de Meknès, ville où il devait tenir la cérémonie de remise car l’Etoile européenne. « Notre chargé des relations publiques s’est arrangé pour que je reçoive le titre au Conservatoire municipal de Meknes, dirigée par le PJD. Ils ont refusé au simple motif que j’exerce le krav-maga et qu’un certain nombre de cadres d’israéliens m’ont rendu hommage » justifie Ibrahimi.
En effet, ce sont surtout les visites de responsables sécuritaires israéliens qui ont mis Ibrahim sous les feux de la rampe. « J’ai toujours signalé la venue de toute personne étrangère. Les autorités locales peuvent en attester » nous déclare-t-il
Soupçonné de collaborer avec l’armée de Tsahal, Ibrahimi a reçu Yaïche Almalich, chargé de surveillance des prisons en Israël. « Il est originaire d’Oujda. Nous sommes allés ensemble nous recueillir sur la tombe de son grand-père dans le cimetière juif de Casablanca » reconnait-t-il. Ibrahimi a également accueilli Yehuda Afekhfer, fils d’Elie Afekhfer, le co-fondateur officiel du Krav-maga, descendant de Sefrou. « Cette dernière visite a irrité le camp anti-normalisation avec Israël, proche du PJD » estime-t-il.
Des méthodes dangereuses
Pour décrocher l’attestation délivrée par l’Institut d’Ibrahimi, il faut débourser la somme de 2000 dirhams et se montrer apte à réussir 6 modules mêlant théorie et pratique. Un cursus « académique » d’une semaine à l’issue duquel les élèves obtiennent un certificat mentionnant les techniques enseignées et les heures passées à effectuer des exercices d’endurance physique et mentale.
« Ces frais incluent le gite, le couvert, l’habillement, les équipements ainsi que les fameux pistolets en plastique examinés par la DGSN, le tirage des diplômes, les charges publicitaires, la location et le transport » égrène l’instituteur qui dit « réinvestir [ses] maigres recettes ». Jusqu’à présent, seulement 14 stagiaires ont pu décrocher le fameux sésame, vu la rigidité des entraînements. « D’autres ont pu avoir un travail avec ce qu’ils ont pu retenir » selon Ibrahimi.
Reconnu mondialement d’après son dépositaire, ce diplôme ne l’est pas au Maroc. « Le Maroc devrait d’abord reconnaître la nature des disciplines que j’enseigne » martéle notre intelocuteur.
Toujours est-il que la campagne médiatique sur sa supposée coopération avec des cadres sécuritaires israéliens a stoppé net le succès rencontré. « Ça fait 2 mois que je ne reçois personne car les gens ont été désinformés » explique Ibrahimi. De peur de se faire traiter de « pro-israéliens« ou de se faire interpeller à leur tour par la police, les stagiaires intéressés par ses cours préfèrent désormais faire profil bas.
Pour l’accusé, l’acide est passé sous l’armure. « On m’a collé l’étiquette d’agent du Mossad et remis ma carrière à zéro » se désole le père de trois filles. Lorsque nous visitons son camp d’entrainement en plein air sur les bords d’un des affluents de la Moulouya, Ibrahimi affirme avoir reçu des menaces de mort, dont certaines provenant du Hamas. « Qu’ils libèrent la Palestine s’ils en sont capables au lieu de s’acharner sur moi » ironise-t-il. En guise de réponse, l’homme passé maître dans le Krav-maga affirme attendre ses affaires au tournant. Entre temps, ce sont les résultats de l’expertise médicale à l’hôpital de psychiatrie de Berrechid qu’il devra attendre et qui seront cruciaux pour la poursuite de sa carrière.
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