Pour l’expert Abdelhak Bassou, la nouvelle génération de terroristes s’appuie sur le rapprochement avec les populations, s’éloigne des applications rigoristes de la charia pour éviter les exactions sur des populations auxquelles elle veut s’allier, et se limite à des espaces régionaux loin de toute idée de globalisation.
La région du Sahel, notamment le Mali, a connu plusieurs interventions militaires des armées française et malienne, afin d’affronter le flux de terroristes qui commençait à s’emparer de plusieurs parties du Sahel, et surtout le nord du Mali.
Deux ans après l’opération « Barkhane », dernière entreprise militaire française au nord de ce pays d’Afrique de l’Ouest, la plus grande alliance de terroristes dans la région du Sahel a vu le jour. Sous les commandes d’Iyad Ag Ghali, Jamaat Nousrat Al Islam Wa Al Mouslimoun (littéralement « Groupe de Souties à l’Islam et aux musulmans ») est une organisation au commandement 100% sahélien.
Nous avons interrogé Abdelhak Bassou, expert en questions sécuritaires, consulté par OCP policy center. Il a également occupé plusieurs postes à responsabilité au sein de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), dont celui de chef de la division de la police des frontières (1978-1993) et de directeur central des renseignements généraux (2006-2009).
Dans une publication intitulée « Sahélisation de la violence extrémiste : Est-ce la naissance d’une troisième génération de terrorisme ? », Bassou explique que cette nouvelle génération de terrorisme est différente de Daech et d’Al-Qaeda, et représente un réel danger pour la région du Sahel.
Tel Quel.ma: En quoi cette 3e génération de terroristes est-elle différente ?
Abdelhak Bassou: Jamaat Nousrat Al Islam Wa Al Mouslimoun n’est pas internationaliste. Elle n’a jamais commis d’attentats à l’étranger, et n’a jamais fait appel à des combattants autres que ceux du Sahel. C’est dans ce sens que je parle d’une nouvelle génération de terrorisme.
C’est une génération régionale, qui ne va pas chercher à internationaliser son mouvement, mais qui servira d’exemple aux mouvements extrémistes d’autres régions. C’est comme ça qu’on peut voir la volonté de Boko Haram de créer un foyer dans la région du lac Tchad, et peut-être aussi la métamorphose des Shebab au niveau de la corne de l’Afrique.
Je crois que la sahélisation peut devenir une africanisation, mais composée d’organisations régionales qui n’ont pas la volonté de se territorialiser ni de s’internationaliser. C’est un autre genre de terrorisme, qui veut monter la population contre les institutions d’un pays. C’est en ça qu’il est dangereux. Il l’est parce qu’il peut se dissoudre parmi la population, dont il fait sa base de départ. Il essaie de s’allier aux habitants, afin de noyauter une révolution contre les institutions.
Le Maroc est-il concerné par ce mouvement ?
Le Maroc est très concerné, parce qu’il est l’un des pays les plus en vue en Afrique quand on parle de sécurité. On compte sur le Royaume. Par cette position de nation importante, le Maroc ne peut pas être indifférent à ce qui se passe au Sahel. Non seulement parce que ce problème peut prendre de l’ampleur et nous menacer, mais aussi par devoir de solidarité africaine.
Deuxièmement, le Maroc a entrepris, dans sa lutte contre le terrorisme, des initiatives qui peuvent servir de modèles. Par conséquent, c’est au Maroc de développer ces initiatives et de les adapter pour aider les pays du Sahel.
Comment ces organisations se financent-elles ?
Elles s’autofinancent d’abord sur place, grâce à la participation des populations. Deuxièmement, à la tête de ces organisations, on a des personnes riches comme Ag Ghali. Il y a aussi le commerce des troupeaux, commerce informel qui pullule au Sahel, et dont les revenus vont à ces groupes.
Ces terroristes ne sont pas des enfants de chœur. Ce sont des contrebandiers, des chefs de réseaux d’immigration. On ne peut pas évoluer clandestinement sans toucher à une partie de la criminalité organisée, qui est également source de revenue. Il y a aussi la prise d’otages. Mais je ne crois pas qu’il y ait des Etats derrière le financement du terrorisme au Sahel.
Selon vous, comment les pays concernés peuvent-ils agir pour faire face à ce phénomène ?
Il faut prendre en compte toutes les dimensions. Une dimension internationale: celle de l’ONU, avec des résolutions et des mesures d’exécution. En Afrique, on doit aussi donner un autre sens au maintien de la paix, qui doit être autre chose que la simple interposition entre deux forces.
Il faudrait que l’idée de maintien de la paix puisse inclure dans ses missions la lutte contre le terrorisme, y compris par des missions offensives. Il ne faut pas se dire que les forces qu’on va constituer sont de simples contingents qui vont protéger certaines missions politiques.
Quand on parle de maintien de la paix, cela implique de combattre le terrorisme. Il faut que les forces africaines en attente (standby forces) soient parties prenantes de ces entités luttant contre le terrorisme. Aujourd’hui, il n’y a aucune standby force qui participe à la lutte contre le terrorisme. Alors, que font-elles ?
Chaque communauté économique régionale a sa propre brigade, et aucune de ces brigades ne participe à la lutte contre le terrorisme. Ni au Sahel, ni en Afrique centrale. Que fait la force de réponse rapide à la crise de l’Afrique? Il faudrait donc que les forces désignées par l’ONU puissent participer à une lutte offensive contre le terrorisme.
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