À l’heure où les terroristes présents au Sahel ont enregistré des « victoires militaires et symboliques » ces derniers mois, selon les mots du président français Emmanuel Macron qui a pris l’initiative du sommet tenu le 13 décembre à Paris, la question de la gouvernance militaire de la zone sahélo-saharienne s’est posée lors des Atlantic Dialogues organisés par l’OCP Policy Center à Marrakech du 13 au 15 décembre.
Telquel.ma y a rencontré Abdelhak Bassou, ancien préfet de police, ayant occupé plusieurs responsabilités au sein de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) marocaine. Il a notamment été chef de la division de la police des frontières (1978-1993), directeur de l’Institut Royal de Police en 1998 et directeur central des renseignements généraux (2006-2009). Il a également participé aux travaux de plusieurs instances internationales, dont le conseil des ministres arabes de l’Intérieur (1986-1992), où il a représenté la Direction générale de la Sûreté nationale.
Le Sahel, immense bande désertique de 6.000 kilomètres de longueur et de 600 kilomètres de largeur comprise entre le Niger, le Mali, la Mauritanie, le Tchad et le Soudan, est en proie à de nombreux groupes terroristes, et aux trafics en tous genres, notamment d’armes. Alors que le cadre institutionnel de coordination sécuritaire du G5 Sahel, créé en février 2014, est en train de se construire, Abdelhak Bassou estime que la solution au problème se trouve ailleurs.
Telquel.ma Le G5 Sahel est-il selon vous un cadre de coopération militaire pertinent pour résoudre le terrorisme du Sahel?
Abdelhak Bassou : Le G5 Sahel est né de la volonté des pays impactés par le terrorisme de trouver un autre espace qui leur est propre pour lutter contre ce fléau. Mais je pense qu’on est en train de se disperser en initiatives au lieu de mutualiser tous les efforts, l’argent, le matériel dont on dispose. Si l’on raisonne de manière arithmétique, tout le G5 Sahel réuni ne peut pas combattre le terrorisme. Prenons l’exemple du Niger, qui dispose de 6000 soldats et participe à la force multinationale mixte avec le Nigéria, le Tchad, le Cameroun, le Bénin. Il va donner une partie de ses soldats à cette force, supposons 1000. En janvier 2017, la décision a été prise à Niamey de créer la force militaire de Liptako-Gourma conjointe entre le Mali, le Niger et le Burkina Fasso. Supposons que le Niger donne encore 1000 soldats à cette entité. S’il en donne encore 1000 au G5 Sahel, combien lui restera-t-il pour surveiller le Niger ? 2000 ou 3000 soldats ? Que vont donner au final toutes ces multiplications d’initiatives?
À la CEDEAO, en Afrique de l’Ouest, il y a déjà le bataillon des » standby forces « , car l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) a demandé aux régions de construire des bataillons pour pouvoir travailler sur ces questions. Le bataillon en Afrique de l’Ouest est déjà opérationnel et est le meilleur en Afrique. Pourquoi ne l’utilise-t-on pas au Sahel au lieu d’avoir créé une nouvelle initiative du G5 Sahel ?
Ce problème de cadre de coopération militaire en Afrique fait-il écho à un problème de gouvernance plus global du continent ?
Ce qui pourrait résoudre le problème du terrorisme en Afrique, c’est que l’Union africaine affirme que le terrorisme du Sahel est un problème africain, qu’il est une menace pour toute l’Afrique, de l’Afrique du Sud au Maroc, et que seule l’Afrique peut résoudre ce problème. L’Union africaine doit dire à l’Afrique du Sud, au Maroc, à l’Algérie, à l’Egypte, à l’Ethiopie, au Nigéria, et à tous les pays qui sont des puissances régionales militaires : » c’est vous qui allez donner ces forces « . Ces puissances doivent être mises à contribution. Le problème, c’est que selon si l’on est proche ou non géographiquement du terrorisme, on n’en a pas la même perception. Même au sein du G5 Sahel, je ne crois pas que la perception qu’a la Mauritanie du terrorisme, où il n’y a pas d’attentat, soit la même que celle du Mali, où des personnes meurent chaque jour. Il faut un meilleur dialogue, mais également une meilleure perception de l’Afrique comme un ensemble.
Le Maroc devrait donc jouer un rôle militaire plus important pour la lutte contre le terrorisme en Afrique ?
Le Maroc est présent militairement notamment en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, mais dans le cadre des Nations Unies. Il a participé à 6 opérations des Nations Unies en Afrique. Maintenant, il faudrait que l’UA lui donne un vrai rôle militaire, au même titre que les autres puissances militaires africaines qui ont la responsabilité de se charger de la question du terrorisme sur leur continent. Le fait que l’Europe, les Nations-Unies ou la Chine participent d’une manière ou d’une autre n’est pas un problème, mais l’Afrique doit être le noyau dur de la stratégie militaire de lutte contre le terrorisme sur son sol. Elle doit elle-même commander cette opération. Aujourd’hui, on a l’impression que le noyau c’est la France et qu’il faut aider la France !
Les opérations militaires, qu’elles émanent d’une puissance extérieure d’un cadre africain, peuvent-elles constituer la seule réponse ? Quels sont les autres leviers de lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Les soldats, dans ces régions, que ce soit dans le cadre du G5 Sahel, de la Minusma des Nations Unies, de l’opération Barkane de la France, poursuivent des groupes terroristes pour les tuer ou les neutraliser. Mais on ne se rend pas compte que la population est avec ces groupes. Comment se fait-il que ces groupes, après l’opération Serval au Mali qui a dit avoir tué des milliers de terroristes, non seulement renaissent mais renforcent leur puissance ? C’est qu’il y a un incubateur populaire qui produit les terroristes et les protège. Pourquoi ? Car pour le citoyen qui vit à 3000 kilomètres dans le désert, loin de la capitale, l’Etat ne lui donne pas d’hôpital, pas d’école, pas d’électricité, pas d’eau, rien. Donc ce citoyen n’a pas d’allégeance envers cet Etat. En plus, l’Etat n’a pas les moyens de le contrôler, il peut faire de la contrebande ou ce qu’il veut. Automatiquement, ces groupes de personnes vivent dans l’anarchie, ou bien se fabriquent leur propre ordre. Donc il faut régler la question des Etats au Sahel qui ne contrôlent pas vraiment leurs territoires. Comment leurs petits moyens peuvent-ils contrôler cette immensité géographique ? Même si on tue 1000 terroristes, il en naîtra 1000 autres tant que les conditions qui les font naître sont là. Les populations n’ont pas encore intériorisé l’idée de l’Etat-nation telle qu’elle existe en Europe. Ces Etats africains ne sont pas des Etats avec des frontières, mais des capitales avec des confins.
Quels sont les risques du terrorisme au Sahel pour un pays comme le Maroc ?
Ce qui arrive en Afrique est un problème pour le Maroc de part sa solidarité avec les pays africains, qui est inscrite dans la Constitution. Par ailleurs, le Sahel n’est pas loin du Maroc. Plus il se déstabilise, plus le Maroc est menacé. Or s’il est menacé, la Méditerranée et l’Europe le sont aussi. Toutes ces strates sont liées les unes au autres, c’est un complexe de sécurité. Le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest et dans les 5 ou 10 années prochaines, nous allons voir les effets de cet investissement au Maroc. Mais s’il n’y avait pas ce terrorisme, on aurait pu investir dans d’autres choses, au Mali par exemple : l’économie, l’éducation, la santé. Mais le Maroc n’a pas le monopole de ce soutien, d’autres pays africains, comme l’Afrique du Sud ou le Nigéria par exemple, sont en train d’avancer et peuvent par solidarité voler au secours de ces pays menacés par le terrorisme, mais il faut que cela soit fait dans un cadre politique de solidarité africaine, dénuée de toute arrière pensée et de calculs politiciens. La logique doit être : » j’essaie d’assurer le confort de l’autre car mon confort en dépend « .
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