Il était impossible dans l’immédiat de connaître le montant total des dommages et intérêts, ni même le nombre précis de cas de discriminations reconnues. La centaine de Chibanis (« cheveux blancs » en arabe), présents mercredi à la cour d’appel, ont attendu une heure pendant que les avocats consultaient une partie des arrêts rendus. Puis leur avocate est sortie, les bras en l’air et émue aux larmes, pour annoncer que c’était « gagné« , avant d’être portée en triomphe.
« Il y a eu aujourd’hui la confirmation des condamnations (pour discrimination) obtenues en première instance en matière de carrière et de retraite et nous avons obtenu en plus des dommages et intérêts pour préjudice moral » et pour « préjudice de formation », a déclaré Clélie de Lesquen-Jonas, sous les vivas et les sifflets.
« C’est un grand soulagement, une grande satisfaction« , a-t-elle commenté.
Après moult renvois et plus de douze ans de procédure pour certains, la quasi-totalité des plaignants avaient obtenu gain de cause en premier ressort en septembre 2015. Mais l’entreprise avait fait appel de cette décision qui la condamnait à plus de 170 millions de dommages et intérêts. Dans une déclaration à l’AFP, la SNCF a dit « prend(re) acte » de la décision rendue mercredi.
Ses avocats vont « étudier les décisions prises par la Cour d’appel pour chacun des 848 dossiers » et « à l’issue de cette analyse, SNCF Mobilités se réserve le droit d’un éventuel pourvoi en cassation« , a-t-elle précisé.
Les cheminots, marocains pour la plupart (la moitié ont été naturalisés), ont été embauchés entre 1970 et 1983 par la SNCF, majoritairement comme contractuels, et n’ont pas bénéficié du « statut » plus avantageux des cheminots, réservé aux ressortissants européens, sous condition d’âge.
Des « contractuels sont partis (en retraite) à 65 ans, alors que les cadres permanents sont partis à 55 ans », a ainsi expliqué à l’AFP Brahim Ydir, un des plaignants. « On a travaillé dix ans de plus » qu’eux avec des salaires inférieurs, sans avoir « le droit de monter les grades » ni d’avoir accès « aux soins gratuits », a-t-il dit.
La décision de la cour d’appel est une « reconnaissance » des discriminations subies, cela « nous soulage un peu, mais la blessure est profonde », a réagi un autre plaignant, Ahmed Mikali, saluant une justice qui « a bien fonctionné dans ce cas ».
Tout au long de la procédure, le groupe public ferroviaire a nié une « quelconque politique discriminatoire à l’encontre des travailleurs marocains », estimant avoir constamment « veillé à l’égalité de traitement de tous ses agents dans l’environnement réglementaire décidé par les pouvoirs publics ».
Ces salariés « sans qualification » n’avaient « qu’une très faible chance, y compris s’ils avaient bénéficié des règles statutaires, d’arriver à une position cadre », avaient plaidé les avocats de la SNCF devant la cour d’appel.
Ce n’est pas l’avis du Défenseur des droits qui avait pointé, par la voix de son représentant, une discrimination « organisée, statutaire » qui n’est pas sans lien avec « notre histoire coloniale ».
Les parties s’étaient également opposées sur le montant des éventuels dommages et intérêts.
Les Chibanis ont demandé 628 millions d’euros en tout pour différents préjudices (carrière, retraite, formation, d’accès aux soins, santé, etc.), soit « 700.000 euros par demandeur », selon la SNCF qui juge ces chiffres « exorbitants ».
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