De Taznakht à New York, la fabuleuse histoire d'une mahia marocaine premium

Du petit village de Taznakht aux bars huppés des métropoles américaines, retour sur l’histoire prodigieuse de “Nahmias et Fils”, une mahia à base de figues qui fait sensation en Amérique.

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Ingénieur informatique dans le secteur bancaire de formation, David Nahmias est devenu maître distillateur pour perpétuer la tradition familiale Crédit DR

Si la mahia, eau de vie marocaine, s’illustre principalement par ses effets dévastateurs dans les faits divers de la presse nationale, de l’autre côté de l’Atlantique, elle fait sensation chez un public bohème et dans les bars huppés de New York, Los Angeles ou Washington. Inimaginable au Maroc, cet exploit a été accompli en Amérique par David Nahmias. Il y a huit ans, ce maître distillateur marocain (installé à Yonkers, au sud de l’Etat de New York) a la brillante idée de produire et de commercialiser le spiritueux traditionnel à base de figues sous l’appellation “Nahmias et Fils ”, et ça marche plutôt bien pour lui. Son secret ? Une recette familiale vieille de plus d’un siècle, une fabrication à petite échelle avec des produits naturels, une identité visuelle raffinée et “des lendemains garantis sans gueule de bois ”, nous assure ce master de la mahia. A condition de ne pas descendre toute la bouteille… Sa passion pour ce spiritueux et son savoir-faire lui viennent de Taznakht, son village natal. Dans cette petite bourgade de la province de Ouarzazate, la famille Nahmias s’est illustrée par la production artisanale de mahia sur trois générations. “Mes grands-parents, puis mes parents, distillaient de la mahia de figues. Je me rappelle qu’on toquait toujours à notre porte pour en chercher. Ce n’était pas la source de revenus de mes parents, mais ils tenaient à la fabriquer chez eux de manière tout à fait artisanale. Si mes souvenirs sont bons, ils confectionnaient 10 bouteilles par semaine seulement”, raconte David Nahmias, qui a d’abord embrassé une carrière d’ingénieur informatique dans le secteur bancaire avant de reprendre, à sa manière, le flambeau familial.

La mahia “Nahmias et Fils” n'est pas encore distribuée au Maroc. Crédit: DR
La mahia “Nahmias et Fils” n’est pas encore distribuée au Maroc. Crédit: DR

“Quitter le Maroc, c’était comme se suicider”

En plus de posséder un hôtel à Taznakht, son père, un homme respecté de la région, faisait du commerce et travaillait avec l’American Jewish Joint Distribution Committee, la plus grande organisation juive d’aides humanitaires. Cela n’empêchera pas les Français de l’emprisonner “trois mois pour avoir transporté, en secret, des militants nationalistes”, se souvient le fils. “C’est ce type d’histoires familiales qui m’a poussé à perpétuer la tradition, de fabriquer ce spiritueux et de l’introduire aux États-Unis”, confie David Nahmias. Après l’indépendance et jusqu’aux années 1960, l’exode des Marocains de confession juive vers la toute nouvelle Israël vide le royaume et Taznakht de ses habitants juifs. “Mon père a refusé de partir. Pour lui, quitter le Maroc, c’était comme se suicider. Nous étions l’unique famille juive à être restée”, nous confie-t-il. Ils finiront eux aussi par quitter Taznakht, pour s’installer à Casablanca. Puis, en 1976, ils quittent le Maroc pour la France puis le Canada, où David poursuit ses études. Et après avoir longtemps pérégriné, il s’installe dans les années 1980 à New York où il travaille, entre autres, pour la Banque de Tokyo. Ses parents l’y rejoignent. Ce n’est pas Taznakht, mais ils continuent de fabriquer de la mahia.

En 2009, le décès de ses parents “ à quarante jours d’intervalle” et le chômage de sa femme Dorit, trader au Forex, précipitent la reconversion professionnelle du couple. “J’ai alors suivi des formations en distillerie pour parfaire mon expérience. Un an plus tard, nous avons commencé à commercialiser notre mahia, un produit complètement méconnu des Américains”, résume David Nahmias.

Une mahia en mode “slow”

Huit ans plus tard, la machine semble rouler pour les Nahmias. “Nous avons essayé de créer un spiritueux ancestral très bien fait, et ça a marché”, dit-il fièrement. Et si la mahia “Nahmias et Fils” est produite avec des figues californiennes, son esprit est bel et bien marocain, jure David Nahmias. Il est aussi intransigeant sur le procédé de slow fabrication de sa mahia : “Je produis en moyenne 6000 bouteilles par an, contre 1000 bouteilles par jour pour certains producteurs de spiritueux qui réalisent leur alcool dans ma distillerie. Je n’ajoute pas non plus de sucre ou de produits chimiques”. Des efforts qui coûtent un peu plus de 350 dirhams (38 dollars) les 750 millilitres. À boire sec, après un repas ou en cocktail (voir encadré « recettes » en bas de l’article). Avec sa notoriété croissante, le spiritueux marocain est aujourd’hui distribué dans dix États des États-Unis et au Québec. Et les Nahmias font aussi des tournées et des sessions de tasting de leur breuvage.

“Au début, je pensais que je faisais uniquement de l’alcool, mais avec le temps je me rends compte que je suis devenu une sorte d’ambassadeur du Maroc”, lance David Nahmias, amusé. Il poursuit : “Plusieurs clients américains ont une idée stéréotypée sur le Maroc, et nous tenons à leur expliquer l’histoire de la mahia et le contexte de tolérance de notre pays natal”. Au Maroc par contre, inutile de chercher “Nahmias et Fils”, elle n’y est pas distribuée. La raison : “Le coût du transit jusqu’au Maroc est cher”, nous explique le maître distillateur. Même les professionnels du secteur au Maroc ne connaissent pas le produit. “Dans les grands hôtels, on a tendance à servir de la grappa plutôt que de la mahia, car on a du mal à trouver des marques de très bonne qualité”, nous dit Mustapha Derdari, chef des bars du Sofitel Marrakech. “Et si les clients internationaux demandent à déguster un digestif local, on leur propose de la boukha tunisienne”, ajoute-t-il. Pour sa part, Zakaria Wahby, assistant du chef sommelier du Royal Mansour, nous dit connaître l’existence de la mahia “Nahmias et Fils”, mais avoue ne l’avoir jamais goûtée : “Si c’est de la bonne qualité, ça peut très bien marcher au Maroc. Elle peut trouver sa place sur le marché national”. Et bien que “Nahmias et Fils” soit introuvable au Maroc, le maître distillateur entend bien faire du spiritueux national la nouvelle boisson internationale. “Dans les années 1960, la vodka était méconnue aux États-Unis,
aujourd’hui tout le monde en consomme. Je suis sûr qu’avec le temps, la mahia la détrônera”, assure David Nahmias. Pourquoi pas ?

Recettes. Un cocktail Mahia, please!

Dans les bars hype de plusieurs métropoles américaines, mais aussi chez eux, les amateurs de mahia peuvent aujourd’hui faire ou déguster des cocktails à base d’eau de vie marocaine. À cet effet, les Nahmias ont mis en ligne quatre recettes d’alléchants mélanges. Vous avez le choix entre le “Black, White & Fig” avec pomme, jus d’agrumes et poivre, le “Mahinamossa” avec du thé et du gingembre frais, le “Night in Casablanca”, réalisé avec du bourbon, vermouth et de l’angostura
(une liqueur vénézuélienne). Et enfin “Amoura”, cocktail à base de whisky (les Nahmias en produisent aussi), citron et soda de gingembre. “Ce sont des mélanges audacieux”, commente Mustapha Derdari, chef des bars du Sofitel Marrakech. “Ça me rappelle un cocktail à base de mahia que j’avais l’habitude de réaliser il y a quelques années. Une sorte de mojito que j’ai intitulé  Marojito… C’est important de mettre en valeur nos produits et nos traditions”, conclut-il.[/encadre]

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