"La baisse des prix des médicaments n'a pas créé une plus grande consommation"

Pour Ayman Cheikh Lahlou, président de l’AMIP, l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique, la baisse des prix de médicaments initiée depuis quelques années par le ministère de la Santé « n'a pas eu l'objectif escompté, à savoir d’accroître leur consommation ».

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Crédit : AIC Press

Ayman Cheikh Lahlou, le président de l’AMIP, l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique mais aussi directeur général du laboratoire pharmaceutique marocain Cooper Pharma a accordé un entretien à Telquel.ma où il évoque le bilan de l’association, mais aussi l’impact de la baisse des prix des médicaments sur les activités du secteur et les futurs projets des industriels marocains en Afrique.

Telquel.ma: C’est la fin d’année, quel bilan faites-vous des activités de l’AMIP ?

Ayman Cheikh Lahlou: Le nouveau bureau de l’AMIP a pris ses fonctions le 8 février 2016, il y a dix mois, sur une note de continuité avec les précédents bureaux mais aussi de rupture par rapport à la communication autour de l’industrie pharmaceutique. Nous avons ce choix de rompre toute communication depuis trois ans, c’est-à-dire depuis la baisse des prix des médicaments par le gouvernement, parce que nous étions en face d’une communication institutionnelle très forte qui remettait en question le modèle de l’industrie pharmaceutique marocain. C’est-à-dire qu’on a pointé du doigt la cherté des médicaments, et il y a eu au total 1 800 articles sur ce sujet dans toute la presse nationale, avec souvent des interventions assez violentes où on a même parlé d’un lobby pharmaceutique, qui serait pire que celui de l’industrie de l’armement. Ce que les articles de presse n’ont pas dit, c’est que le prix des médicaments au Maroc a toujours été fixé par le ministère de la Santé. Ce prix est encadré et aucun laboratoire ne les fixe. Or la communication massive qui a été faite en 2014, 2015 et 2016 avait cette tendance de dire que ce sont les laboratoires qui en fixent les prix. Faux. S’il y a une responsabilité à assumer sur les prix, elle revient au ministère de la Santé. Dans un tel contexte, nous avions préféré nous taire.

Le ministère de la Santé a procédé, depuis quelques années, à la baisse des prix des médicaments. Quel impact a eu cette baisse sur les activités des industries ?

L’impact de la baisse des prix des médicaments sur le bilan des sociétés multinationales, ce n’est pas à moi d’en parler. C’est à l’association multinationale  de le faire. D’ailleurs, elle s’est exprimée à ce sujet-là depuis deux ans avec son président de l’époque, qui disait dans la presse marocaine que ces baisses de prix nous ont acculés et amenés à se séparer des employés. Donc, il y a des filiales de multinationales qui embauchaient des commerciaux et tout un staff qu’ils ont dû remercier. Mais, il y a eu ensuite un mouvement important qui a, certes, commencé un peu avant, où certaines multinationales ont cédé leurs sites de fabrication à des opérateurs marocains. Actuellement, une multinationale européenne est en train de céder ce qui est peut-être le site de fabrication le plus important du Maroc.

La baisse des prix a-t-elle néanmoins facilité l’accès aux médicaments ?

Cette baisse de prix de médicaments qui est venue des autorités et que nous soutenons dans le sens où elle permet une meilleure accessibilité, n’a pas eu l’objectif escompté qui était d’accroître la consommation du médicament. Preuve à l’appui depuis la baisse des prix, le marché pharmaceutique privé au Maroc a été « flat » c’est-à-dire un marché égal à zéro selon les sources IMS Internationale (entreprise américaine proposant des études et du conseil pour les industries du médicament et les acteurs de la santé). Ce qui veut dire que la baisse des prix n’a pas créé une plus grande consommation. Et en valeur, cela a baissé naturellement.  C’est très important, nous le disons et nous allons continuer à le dire, l’accessibilité de notre population aux médicaments passe par une approche holistique globale et pas seulement au niveau du prix. Les industriels avaient dans ce sens un accord avec le ministère de la Santé pour des mesures complémentaires pour accompagner la baisse des prix. Aujourd’hui, elles ne sont pas mises en place.

Qu’entendez-vous par approche holistique ?

L’approche holistique, c’est tenir compte de la structure des prix des industriels,  du coût de la distribution, de l’État qui prend une TVA et aussi du taux de change que nous subissons. Elle est aussi dans la structure de l’inventive (incitation) à la prescription des génériques. C’est très important. Le Maroc consomme 30 % seulement de génériques sur un répertoire de médicaments donné, qui couvre le plus gros des pathologies alors que l’Europe est à 80 % et les Etats Unis à 90% de pénétration du générique sur ce répertoire médical.

Peut-on dire qu’il y a eu des avancées enregistrées dans le domaine pharmaceutique ces dernières années?

Il y a eu des avancées que le public et le privé ont réalisées conjointement, c’est la mise à disposition des dernières molécules innovantes à la population. Certes, ce sont des molécules coûteuses qui détériorent la balance des paiements du médicament de 4,7 milliards de dirhams en 2015, mais qui donnent la palette d’arsenal thérapeutique la plus complète de dernière génération si bien que  le patient marocain peut,  lui-même ou à travers ses assurances publiques ou privées, avoir accès à ces médicaments. Le ministère de l’industrie dans le cadre des pharma écosystèmes 2020 nous a dit : Je vous donne un cadre pour investir dans des technologies qu’on importe aujourd’hui. Que ce soit dans la biotechnologie, dans les vaccins, dans la fabrication de matière premières, d’hormones contraceptives, d’aérosol contre l’asthme et de certains injectables. Si vous, opérateurs marocains privés, publics ou étrangers, investissez dans des projets comme ça, cela va réduire la facture d’importation et l’État vous donne des subventions pour investir et vous donne des terrains. C’est un cadre que l’AMIP a signé en avril 2016 avec les ministres de l’Industrie, de la Santé et des Finances. Ce cadre qui a été annoncé tarde cependant à être opérationnalisé. C’est-à-dire qu’au-delà de l’annonce, il faut qu’on nous dise comment nous pouvons avoir accès à ça.

Qu’est-ce qui bloque à votre avis ?

Ce sont des points administratifs dont il faut qu’on se délaisse. Nous sommes des gens sérieux et l’AMIP a des membres aussi bien locaux qu’étrangers qui veulent investir. Mais nous n’arrivons pas toujours à avoir la mise en musique de la part du ministère de l’Industrie et de la Santé qui peuvent se renvoyer la balle des fois sur des points administratifs pour enclencher des projets. J’appelle, donc, à ce qu’ils se réunissent eux pour nous donner le cadre de la feuille de route. Sinon, nous allons avancer par nos propres moyens parce que nous sommes convaincus qu’il faut continuer à investir dans l’industrie du médicament pour le Maroc et d’autres pays de la région.

Le laboratoire Cooper Pharma dont vous assurez la direction générale a annoncé récemment la construction d’une usine pharmaceutique au Rwanda. Y ‘a-t-il d’autres projets en cours en Afrique ?

Cooper Pharma, le laboratoire pour lequel je travaille, gère huit usines aujourd’hui entre le Maroc l’Afrique et le Moyen-Orient. Plus de la moitié sont à l’étranger. Mais l’Afrique est en particulier le point du développement futur du Maroc, surtout dans un contexte où nous avons d’excellentes relations diplomatiques. Les pays du sud veulent un modèle de coopération. La preuve, nous ne faisons que des investissements en joint-venture avec des opérateurs locaux, que ce soit au Rwanda, en Côte d’Ivoire où on a ouvert une usine en construction depuis deux ans. Cela est facilité grandement par l’initiative royale, notamment la tournée africaine. Il est légitime que l’Afrique se dote de ses propres structures de fabrication des médicaments. Plusieurs laboratoires marocains sont sur des projets qui ont été annoncés et d’autres qui sont en préparation en Afrique, et qu’on ne peut pas annoncer tout de suite.

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