Ta vie en l’air. Ordre et beauté

Par Fatym Layachi

La semaine dernière, une sombre histoire de vol est venue perturber la douce quiétude de la résidence – pourtant si bien gardée – où vivent tes parents.

Des cambrioleurs ont réussi à s’introduire dans certaines maisons, malgré les gardiens et les barrières. Ta mère est persuadée que c’est à cause du terrain vague à côté du bidonville. Ta mère n’a pas forcément de grandes notions d’urbanisme, mais a une idée bien précise du voisinage idéal. Ta mère a été totalement choquée par cette intrusion. Il fallait la voir soupirer et s’indigner. Elle aurait été parfaite dans un mauvais remake égyptien d’une tragédie grecque.

Ta mère a appelé son contact commissaire. Selon elle, tout le monde doit en avoir un. Et puis, ta mère est partie s’installer dans le nord. Tant d’émotions l’ont épuisée. Enfin bref, là, on est vendredi, il est 21 heures 45 et toi tu erres dans les couloirs de la PJ. Tu dois donc témoigner et signer des papiers. Tu n’as bien évidemment strictement rien à te reprocher, tu sais que tu es là avec piston et égards, et pourtant tu as l’estomac un peu noué. Ça doit être la couleur des murs et ces couloirs sordides. Tu trouves enfin le bureau 324 au 3e étage sans ascenseur. Tu n’es pas rassurée. C’est étrange cette sensation qui t’envahit. Tu ne te sens pas du tout en sécurité. C’est paradoxal. Le plus bizarre c’est que tu étais à Paris lors des attentats. Tu as ovationné les forces de l’ordre le dimanche qui a suivi, mais, malgré tout, la caricature du flic moustachu un peu douteux n’arrive pas à quitter ton esprit. Et puis, tu ne sais pas trop comment tu vas être reçue, toi à qui tout sourit d’habitude. Un commissaire et son adjoint finissent par te recevoir. Ils ont l’air épuisés dans ce petit bureau bien évidemment sans clim. Tu te dis qu’ils doivent être là depuis ce matin et leur journée n’a pas l’air d’être terminée. Ils te sourient et te mettent à l’aise. Tu es surprise. Tu parles. Tu racontes ton histoire. Ils te posent des questions pour voir si tu ne te contredis pas. Ils ont beau être sympas, ça reste des flics ! En même temps, ton histoire n’a rien de palpitant ni d’extraordinaire. Au bout d’une heure, c’est toi qui poses les questions. Et là, tu te surprends à les admirer. Le commissaire n’a pas vu sa fille réveillée depuis plus d’une semaine. Il rentre trop tard le soir et part trop tôt le matin. L’adjoint n’a pas assisté aux obsèques de son père. Il arrêtait un pédophile. Ce midi, ils ont déjeuné d’un vague sandwich acheté au coin de la rue. Et c’est comme ça tous les jours. Non, il n’y a pas de cantine et leur quotidien ne ressemble pas à celui des séries dont tu t’abreuves. Et pourtant, il y a sans doute des héros parmi eux. Ils sont de permanence tous les week-ends. Ils n’auront pas de vacances cet été. Trop de boulot, trop de danger et pas assez d’effectifs.

Ton téléphone sonne, c’est ta mère à qui tu as promis de téléphoner. Elle doit s’inquiéter et soupirer au bord de sa piscine. Cette histoire de cambriolage est tellement désuète. Tu en as presque honte. Tu mets ton iPhone sur silencieux et les écoutes te parler d’arrestation, de meurtriers et de terrorisme. Tu prends conscience de leur mission et de leurs sacrifices aussi. Ton admiration grandit. Une sonnerie vient rompre ce moment quasiment émouvant. C’est le téléphone du commissaire qui sonne, c’est ta mère qui appelle. Elle a osé ! C’est un peu ridicule et tellement décalé. Il la rassure en souriant et te la passe. Tu quittes le commissariat. Tu ne feras peut-être jamais totalement confiance à un flic, mais tu sais que plus jamais tu ne les critiqueras.