Les tâches ménagères, devraient-elles être rémunérées ? C’est la question que se sont posés féministes, sociologues et représentants du Haut-commissariat au plan (HCP) lors d’une table ronde intitulée « Le travail domestique non rémunéré des femmes au Maroc » organisée le 26 janvier par le collectif L’Espace associatif. Le programme des Nations unies pour le développement définit le travail domestique comme étant « l’ensemble des activités effectuées par les membres de la famille qui vivent dans le même foyer ». Mais d’après les chiffres du HCP, le travail domestique est largement assuré par les femmes. 95 % des Marocaines s’y attellent au moins 5 heures par jour, alors que seuls 45 % des Marocains y passent plus de 45 minutes chaque jour. Ces tâches (ménage, cuisine, éducation des enfants…), souvent assurées par des femmes qui concilient aussi une vie professionnelle à l’extérieur, sont dans certains cas synonymes de souffrance et parfois non reconnues par les époux. Pourtant, ces activités participent à l’économie nationale. « En élevant les enfants et en transformant les achats en produits consommables, il s’agit donc d’un travail nécessaire », explique Faouzi Boukhriss, sociologue, qui ajoute « Il n’a pas de valeur comptable, mais une valeur inestimable ». Mais alors, comment le valoriser ?
Rémunérer : une idée féministe ou archaïque ?
Pour le sociologue Abdessamad Dialmy, rémunérer le travail domestique peut être perçu de deux manières. D’un côté, on peut y voir un caractère féministe puisque cela valorise les femmes et leur permet de gagner en autonomie financière, d’un autre, rémunérer c’est banaliser la division sexuelle patriarcale du travail. Cet expert des questions de sexualité dans la société énumère trois réponses, sans trancher. La première, qu’on peut considérer comme archaïque, consiste à penser que l’homme et la femme sont complémentaires et ainsi que « les femmes au foyer accomplissent les tâches domestiques pour permettre aux hommes de les entretenir ». Autrement dit, « être entretenue par un homme revient à être rémunérée ». Mais cette vision est complètement incompatible avec la réalité marocaine, celles des femmes qui concilient une vie professionnelle à l’extérieur et plusieurs heures de travail domestique par jour.
Deuxième réponse : rémunérer le travail domestique puisqu’il produit de la richesse. Abdessamad Dialmy fait ici référence à plusieurs juristes islamiques comme Ahmed Ibn Adroune, qui estimait que l’épouse a droit à la moitié de la fortune de son mari s’il la répudie parce que cela permet de compenser l’effort physique accompli pendant la vie conjugale. Certaines associations féministes étrangères ont ainsi recensé l’ensemble des tâches et élaboré des nomenclatures qui prennent en compte l’apport du travail ménager à l’économie nationale. Troisième réponse, à référence communiste : externaliser, professionnaliser et désexualiser. Engels par exemple, proposait de dé-familiariser ces travaux, pris en charge collectivement.
Inscrire le partage des tâches dans le code de la famille
Rémunérer ? Par qui ? L’État ou le mari ? Employer des domestiques pour déléguer ses tâches ? La solution la plus cohérente est celle d’une implication des hommes dans le foyer. D’ailleurs, les associations présentes lors de cette table ronde ont conclu sur l’importance pour le féminisme marocain de revendiquer une parité dans la maison, ou du moins un nombre d’heures minimum pour les hommes, « réglementé par le code de la famille ». En plus de participer à l’autonomisation des femmes et leur valorisation, la participation des hommes aux tâches domestiques permet aussi de féminiser l’espace public. Bref, « Les femmes ont montré qu’elles pouvaient participer au domaine public donc les hommes sont en retard, n’ayant pas encore fait leurs preuves dans le partage du travail domestique. Les hommes doivent interroger la masculinité », conclut l’assemblée.
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Ce que dit le HCPIl est intéressant de regarder les différences d’emploi du temps des hommes et des femmes. Les hommes travaillent plus en dehors de la maison mais si l’on cumule le temps de travail domestique et le temps de travail professionnel, les femmes travaillent légèrement plus : 6 heures 21 contre 6 heures 08. 95 % des femmes passent plus de 5 heures par jour à réaliser des tâches ménagères et à s’occuper des enfants alors que la plupart des hommes y passent moins de trois quarts d’heure. Et cette supériorité du temps de travail des femmes sur celui des hommes risque de s’accroître. La diminution du temps consacré aux tâches ménagères chez les femmes est beaucoup moins importante que l’augmentation de celui consacré au travail professionnel (une baisse d’une heure contre une augmentation de 2 heures 44 pour les femmes en milieu urbain depuis 1997). Autrement dit, les femmes travaillent plus à l’extérieur mais continuent d’assurer l’intendance à la maison. Le HCP révèle un fait marquant : cette répartition des tâches au détriment des femmes s’instaure dès le plus jeune âge puisque les filles consacrent 1 heure 16 par jour au travail domestique, contre seulement 25 minutes pour les garçons. A l’inverse, les garçons jouent une heure de plus par jour que les filles. [/encadre] |
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